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Compte-rendu de la conférence " Génomique et amélioration des plantes : quels enjeux pour la recherche et ses finalités ? "

Compte-rendu de la conférence « Génomique et amélioration des plantes : quels enjeux pour la recherche et ses finalités ? » – 30 juin 2004, 18h00 à 20h00 – Compte-rendu par Frédéric Prat (Geyser), pour la Fondation Sciences Citoyennes – Version définitive du 29 juillet 2004

Savoirs Partagés

AGROPOLIS-MUSEUM
Conférence-débat

Fondation des Sciences Citoyennes (contact@sciencescitoyennes.org)

Avec :

Jean-François Briat CNRS, DPT. INRA BIOCHIMIE (briat@ensam.inra.fr)

André Bervillé INRA DPT. GENETIQUE ET AMELIORATION DES PLANTES

(berville@ensam.inra.fr)


Texte d’introduction de la conférence distribué au public :

De nombreuses évolutions ont modifié l’étude de la biologie. Le séquençage complet de plusieurs génomes d’organismes eucaryotes multicellulaires marque les débuts de la génomique. Celle-ci, en combinant bio-informatique, génétique inverse, et méthodes d’analyse globale de l’expression du génome, permet une meilleure compréhension de l’intégration de grandes fonctions physiologiques et de programmes de développement. Dans le domaine végétal, elle établit des relations avec l’amélioration des plantes, en particulier avec la sélection assistée par marqueurs et l’analyse de la variabilité génétique. Le changement d’échelle de la génomique et les moyens requis pour son développement impose de nouveaux partenariats et influence l’organisation des dispositifs de recherche.

Les études de génomique auront-elles un impact sur la filière tournesol ? La supériorité génotypique des hybrides F1 par rapport aux lignées parentales est un fait. L’intérêt économique de l’hybride F1 par rapport aux populations qui sont des mélanges d’hybrides peut donc être discuté. Qu’en est-il pour le tournesol ?

La marginalisation actuelle de la culture du tournesol sur des terres peu favorables (la culture avec le minimum d’intrants voire sans intrant, comme l’absence d’irrigation) et le développement de la culture biologique, conduisent à s’interroger sur l’intérêt économique des hybrides F1 par rapport aux populations.

Peut-on envisager dans le contexte économique actuel un schéma de sélection de populations et une organisation de la filière huile impliquant l’agriculteur ?

La conférence est introduite par Jean Jacques Drevon (Inra), modérateur, qui en rappelle le cadre :  » Savoirs partagés  » s’est associé avec  » Ouvrons la recherche  » et  » Fondation sciences citoyennes  » pour les trois conférences qui ont eu lieu depuis fin mars. Ce processus s’inscrit dans le cadre de l’Appel à des forums de la recherche publique pour une agriculture durable et une bonne alimentation, dans un environnement sain et des campagnes vivantes [1]. L’objectif global du processus est la production d’un document de synthèse sur la réorientation de la recherche publique. Pour avancer sur des propositions, des groupes de travail via le web sont mis en place, ainsi que trois forums (Rennes – 23 juin, Toulouse – 16 octobre et Montpellier – 9 octobre).


Exposé de JF Briat

Génomique et améliorations des plantes

JF Briat : Biochimie et Physiologie Moléculaire des Plantes. Centre National de la Recherche Scientifique (UMR 5004), Institut National de la Recherche Agronomique, Université Montpellier 2, École Nationale Supérieure d’Agronomie, 2 Place Viala, F-34060 Montpellier cedex 2, France

Phone : +33 (0) 499 612 493
Fax : +33 (0) 467 525 737
E-mail : briat@ensam.inra.fr

Pour que tout débat soit constructif, il est nécessaire que chaque point de vue s’exprime à partir d’une connaissance  » technique  » minimum de l’objet en débat. Cet exposé propose donc de rappeler rapidement d’où vient la génomique, ce qu’elle est, comment sa pratique est organisée en France, et quelles sont ses applications potentielles dans le domaine de l’amélioration des plantes.

1- Quelques rappels et leur contexte historique C’est Mendel en 1865 qui fonde la génétique en découvrant les lois fondamentales de l’hérédité. Ces travaux sur les caractères héritables du Pois passent quasiment inaperçus et il faudra attendre 1900 pour que De Vries, Tschermak et Correns redécouvrent simultanément et indépendamment les lois de Mendel. Une dizaine d’années plus tard, en 1911, Morgan élabore la théorie chromosomique de l’hérédité à partir des données expérimentales qu’il obtient avec la mouche du vinaigre (Drosophile).

Il faudra attendre l’après deuxième guerre mondiale pour que le support physique de l’hérédité soit élucidé, amenant ainsi les débuts de biologie moléculaire. En 1944, Avery, Mc Leod et Mc Carty mettent en évidencele rôle des acides nucléiques comme support de l’information génétique, et en 1950, Chargaff établit qu’une molécule d’ADN comprend toujours la même quantité de A et de T, et la même quantité de C et de G. Trois ans plus tard Watson et Crick décrivent la structure en double hélice de la molécule d’ADN, aidé en cela par les images de diffraction électronique obtenues par Rosalin Franklin. Une dizaine d’années plus tard, Jacob et Monod proposent un modèle pour l’expression d’un gène via une molécule d’ARN messager, et Crick propose l’hypothèse que le code génétique est constitué de triplets de nucléotides spécifiant un acide aminé donné pour la synthèse des protéines. C’est en 1965 que les travaux de Korona permettent le décryptage complet du code génétique… un siècle s’est écoulé depuis Mendel !!

La rencontre de la génétique et de la biologie moléculaire détermine l’émergence de la génétique moléculaire et les premières expériences de génie génétique chez les bactéries sont attribuées à Cohen et Boyer en 1973. Conscients de la révolution biologique qui s’annonce les biologistes impliqués dans ce type d’étude décident d’un moratoire d’un an lors d’une conférence à Assylomar en 1975 pour réfléchir à l’opportunité de continuer leurs travaux sur le génie génétique. Concernant le génie génétique appliqué aux végétaux, c’est en 1977 qu’est découvert le transfert de gènes entre les agrobactéries et les plantes, qui servira de fondement à l’obtention de la première plante transgénique en 1983.

Le perfectionnement et l’intensification du débit des méthodes de la biologie et de la génétique moléculaire ont rapidement conduit les scientifiques à penser qu’il devenait possible d’accéder à l’ensemble de l’information génétique contenue dans le génome d’un organisme eucaryote multicellulaire. L’heure de la génomique avait sonné !! C’est ainsi qu’ont été lancé le programme HUGO de séquençage du génome humain en 1988, et le programme de séquençage du génome de la plante Arabidopsis thaliana en 1992, une petite crucifère utilisée comme modèle par les biologistes moléculaires étudiant les végétaux. C’est en 2000 que la séquence complète du génome de cette plante a été terminé et mis à la disposition de l’ensemlble de la communauté scientifique.
Pour accompagner la mise en place de programmes de séquençage à grande échelles, l’Etat français a créé le Génoscope (groupement d’intérêt public,GIP) à Evry en 1996. Dans le domaine de la biologie végétale, un groupement d’intérêt scientifique (GIS) nommé Génoplante a été crée en 1999 pour fédérer les efforts en génomique végétale des établissements publics de recherches et des partenaires privés.

2- La génomique : un changement d’échelle
La génomique s’inscrit dans la continuité de la génétique, qu’elle dote d’outils d’analyse fine et directe du génome et d’une capacité de traitement très rapide d’un très grand nombre de données grâce à des équipements de type industriel.

2.1- La génomique structurale concerne l’étude de la structure des génomes. Elle ambitionne de décrire l’organisation des chromosomes et de dresser l’inventaire des gènes qu’ils contiennent. Pour cela elle s’appuie sur : + la cartographie génétique : les marqueurs moléculaires sont de nouveaux type de marqueurs génétiques qui apparaissent au milieu des années 1980 pour permettre de dresser des cartes génétiques avec une précision et une rapidité jusqu’alors inégalées ; + la cartographie physique qui consiste à fragmenter et multiplier de grands fragments d’ADN couvrant l’ensemble d’un génome pour les analyser et les propager chez les bactéries ou les levures sous forme de chromosomes artificiels.
Ces fragments sont ensuite ré-ordonnés selon leur origine chromosomique pour obtenir un ensemble de fragments indépendants et identifiés individuellement, recouvrant la totalité du génome.
La correspondance entre la carte physique et la carte génétique grâce aux marqueurs moléculaires permet de passer d’une localisation sur la carte génétique à une région d’ADN et vice versa. L’intégration des deux types de cartes permet ainsi d’isoler les gènes responsables des caractères étudiés, étape nécessaire pour avancer dans la compréhension de leur fonction.
Le séquençage d’un génome constitue la carte ultime du génome. Sa réalisation nécessite des robots de séquençage permettant un débit compatible avec le séquençage de génomes entiers. Ces conditions sont trouvées dans des centres de séquençage de grande taille, qui possèdent plusieurs dizaines de ces robots (Génoscope à Evry) et qui travaillent dans le cadre de collaborations et de financements internationaux.
Le séquençage de génomes complets fut le théâtre de la première confrontation d’envergure dans la recherche génomique entre la recherche publique (consortium international de laboratoires publics) et la recherche privée (en la matière l’entreprise américaine Celera Genomics dirigée par Greg Vanter), l’enjeu, déjà, étant la brevetabilité des gènes.

2.2- La génomique fonctionnelle.
Elle a pour objectif de fournir des outils d’analyse efficaces pour attribuer des fonctions aux plus grand nombre de gènes révélés par le séquençage du génome. Elle couvre deux axes majeurs : (i) l’expression du génome ; (ii) la modification de l’expression des gènes.
Son objectif d’exhaustivité a conduit le développement de techniques qui visent à obtenir des données d’expression les plus complètes possibles.
Le transcriptome (puces à ADN : Afymetrix, privé, USA ; CATMA public / privé, CE) cherche à déterminer le niveau d’expression des gènes en ARN correspondants, à différents stades de développement et / ou dans différentes conditions environnementales. Les méthodes actuelles permettent de révéler l’expression de l’ensemble des gènes d’un organisme (plus de 25000 chez Arabidopsis), et d’apprécier les modifications de ce patron d’expression en fonction de moments ou de conditions différentes.
Le protéome (basé sur des méthodes de séparation de protéines et de spectrométrie de masse) vise à établir des répertoires d’expression des gènes au niveau non plus des ARNs mais des protéines. A la différence du transcriptome, l’ensemble des protéines exprimées à un moment donné ne peut pas être visualisé. Au maximum quelques milliers de protéines peuvent être caractérisées par ces approches, ce qui ne rend pas encore possible l’établissement de corrélations exhaustives entre transcriptome et protéome.
Les produits des réactions enzymatiques des cellules sont de petites molécules organiques non protéiques, appelées métabolites. Le terme métabolome définit l’ensemble des métabolites déterminés par une, ou la combinaison de plusieurs, méthodes analytiques. La encore, la grande complexité métabolique fait que le nombre de métabolites analysables n’est pour l’instant que de quelques centaines, rendant impossible la corrélation stricte entre expression du génome en transcrits et correspondance métabolique.

Un des problèmes soulevés par les programmes de génomique est l’augmentation sans précédent des volumes de données biologiques à traiter, d’ou le développement, au sein de la génomique, de la bioinformatique

2.3- La bioinformatique propose d’organiser, de gérer et d’analyser la multitude de données produites par les méthodes de la génomique. Elle a pour mission de : – stocker les données de génomique structurale et fonctionnelle dans de larges bases de données informatiques ; – permettre à tous les biologistes d’y accéder de façon simple et rapide ;

A partir des données de séquençage, la bioinformatique développe des programmes pour : – annoter les gènes : comparer les séquences d’organismes différents entre elles et prédire la fonction des gènes ; – prédire des éléments : + de régulation de l’expression des gènes ; + de localisation dans la cellule des protéines codées par les gènes.

3 – De nouveaux partenariats pour gérer le changement d’échelle induit par la génomique L’exhaustivité de la génomique impose une révolution technique dans la pratique scientifique en biologie : automatisation, robotisation, informatisation… donc industrialisation. Cette situation a pour conséquence d’augmenter de façon très importante la technicité des pratiques scientifiques, et les coûts de recherche. Une nécessité d’économie d’échelle s’impose donc, induisant de nouvelles organisations de la recherche et de nouveaux partenariats.

3.1- Les plateformes technologiques Le CNRG (Consortium national de recherche en génomique), est un groupement d’intérêt public (GIP) regroupant : – les Centres nationaux de ressources génomiques qui gèrent les plates-formes technologiques de niveau international comme le Centre national de séquençage (CNS) et le Centre national de génotypage (CNG) tous deux installés à Évry – le réseau des Génopoles. Une Génopole regroupe en un même lieu laboratoires publics de recherche, entreprises de biotechnologies et enseignement de haut niveau dans le domaine de la génomique et des sciences connexes. + en 1999 création de Genopole® à Evry, + un an après l’État décide d’étendre à l’ensemble du territoire français le concept de Genopole®. Actuellement, 8 sites sont labellisés [Evry / Ile-de-France, Lille, Marseille, Montpellier, Strasbourg, Toulouse, Rhône Alpes (Lyon/Grenoble)] et un site en test sur deux ans (Génopole Ouest (site Rennes-Nantes, en test 2002-2004) Les Missions du CNRG sont : – de participer à la politique nationale de génomique en mettant à la disposition de la communauté scientifique française de grands équipements technologiques de niveau international ; – de séquencer des génomes, exploiter, diffuser et valoriser les résultats de ces travaux de recherche ; – d’effectuer le génotypage de génomes, plus particulièrement du génome humain pour l’étude de maladies génétiques ;

- de mettre en place des infrastructures, des moyens scientifiques et techniques nécessaires au développement de la génomique fonctionnelle ; – d’animer et coordonner la politique scientifique et de transferts de technologies des génopoles régionales ; – d’élaborer une charte déontologique et mener des actions d’information scientifique et technique dans le domaine de la génomique.

Le Réseau Inter-Organismes (RIO) doit coordonner les équipements lourds de plates-formes technologique (génomique mais aussi imagerie et biologie structurale) soutenus par les grands organismes de recherche publics (CNRS, INRA, INSERM…).

3.2- Un exemple de programme de génomique : Génoplante.
Il s’agit d’un programme français de génomique végétale basé sur une coopération étroite entre les secteurs publics et privés. Ses missions sont de favoriser le développement et la coordination de recherches sur les génomes végétaux avec des applications et des débouchés dans les domaines de la biologie et de la physiologie des plantes, de l’agronomie, de l’agro-alimentaire, de l’agro-industrie et de l’environnement
Génoplante est un GIS (groupement d’intérêt scientifique). Génoplante Recherche regroupe des membres publics (INRA, CNRS, IRD, CIRAD) et privés (Bayer CropScience, Biogemma, Bioplante). Il est organisé autour d’un comité d’orientation stratégique assisté d’un conseil scientifique international pour élaborer les grands choix scientifiques du programme, un directoire opérationnel se chargeant de la mise en œuvre de ces orientations. Dix Comités thématiques (chacun animé par 2 coordinateurs : 1 public + 1 privé) sont en charge de l’animation scientifique. On peut noter les comités
- générique : Arabidopsis, riz, nouveaux outils, bioinformatique, cibles importantes dans le génomes des espèces cultivées ;

- espèces : blé, maïs, colza, Tournesol, Pois.

Génoplante Valor est une société par actions simplifiée (SAS) qui gère la propriété industrielle générée par les projets et qui doit valoriser les résultats de recherche.

Le budget de Génoplante est de 200 millions d’euros sur 5 ans : + 40% en propre des organismes publics de recherche + 40% en propre des partenaires privés (dont 6% de soutien aux recherches dans les laboratoires publics) + 20% (40 millions d’euros) des ministères de la recherche et de l’agriculture.

4- Génomique et amélioration des plantes
Bien avant l’avènement de la génétique et plus récemment de la génomique, l’Homme cherchait déjà à améliorer les espèces. En ce qui concerne l’amélioration des plantes on date à environ 10000 ans av JC le croisement de deux blés sauvages pour générer le premier blé tétraploïde cultivé. L’orientation productiviste de l’agriculture dans les pays développés après 1945 a bénéficié de la rationalisation de l’amélioration des espèces utilisées en agriculture sur la base des connaissances de la génétique classique

D’après le CGIAR (Consultative Group on International Agricultural Research), une augmentation de la production alimentaire de plus de 50 % pour nourrir 2 milliards d’individus supplémentaires d’ici à 2025, largement situés dans les pays du Sud, semble indispensable

Dans ce contexte, les enjeux sont de deux types : augmenter les quantités alimentaires disponibles et nourrir une population en augmentation tout en préservant l’environnement d’apports excessifs d’engrais et de pesticides ; accroître la compétitivité des productions végétales et leurs utilisations dans le domaine agro-alimentaire et des matières premières renouvelables.

En quoi la génomique est elle concernée par ces enjeux ?

Depuis quelques décennies, l’amélioration des plantes est une activité scientifique basée sur une exploitation de la variabilité génétique naturelle, et depuis peu sur la connaissance croissante du fonctionnement du génome des plantes dans leur environnement.
L’amélioration des plantes nécessite une connaissance et la gestion de la biodiversité pour disposer d’une variabilité génétique large, qu’il faut : + collecter, + caractériser : description et inventaire de l’ensemble des caractères des plantes visibles (taille de l’épi, couleur du grain…) ou invisibles (marqueurs moléculaires que la génomique contribue à définir). + conserver + gérer. La Sélection assistée par marqueurs (SAM) : + utilise les données de la génomique pour améliorer l’efficacité du processus de sélection et réduire sa durée. + permet au sélectionneur de repérer les plantes intéressantes dans la descendance d’un croisement en se basant sur la présence des marqueurs moléculaires proches des gènes contrôlant les caractères recherchés. + bénéficie du fait que les marqueurs moléculaires présentent l’avantage de pouvoir être détectés facilement et d’être visualisables à partir d’échantillons d’ADN extraits de plantes très jeunes. + permet ainsi de réduire de moitié la durée de la sélection de nouvelles variétés

5- Pour en savoir plus
http://www.inra.fr/genomique/sommaireplaquet.html http://genoplante.evry.inra.fr/plaquette/index.html
http://www.genopole.org/html/fr/connaitre/gip_cnrg.htm
La Génomique en Biologie Végétale (2004), JF Morot Gaudry et JF Briat Eds, 582 pages. Les Editions INRA, Paris.


Exposé de A. Bervillé

De la génomique à l’amélioration des plantes le questionnement sur le tournesol est un bon exemple de l’évolution actuelle de la recherche avec la prise en compte de demandes faites par la filière professionnelle et qui ont des implications économiques et de prévention sanitaire dans la société civile.
Première huile consommée en France et en Europe, cette espèce naturellement tolérante à la sécheresse est privilégiée dans le sud et le sud-ouest et elle est nécessaire pour casser la monoculture du blé. Néanmoins, reléguée dans les mauvaises terres depuis quelques années contre toute prévision, elle n’a pas reculé et avec la crise pétrolière actuelle, elle offre un regain d’intérêt qui lui ouvre des perspectives prometteuses. De plus, avec le tournesol dit oléique apparu il y a quelques années l’intérêt alimentaire est avantageux pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires. Le tournesol oléique est aussi très avantageux pour le biofuel.
Le progrès génétique est certain chez cette espèce mais ne se traduit pas par une augmentation régulière du rendement qui stagne à 23-25 q en moyenne, ce qui est préjudiciable aux agriculteurs pour leur revenu. La recherche sur le tournesol est effectuée par des instituts publics et de grands groupes internationaux qui ont fortement investi en génomique et veulent des retours sur investissements rapides et profitables. Les semences représentent près du tiers des charges, une diminution de leur coût serait donc à l’avantage de l’agriculteur. Toutefois l’organisation de la production d’hybrides F1 pour exploiter l’hétérosis entraîne un coût fixe qui laisse peu de marges à une telle réduction.
De surcroît, la scission complète de la filière graines et de celle de l’huile empêche un quelconque retour à l’agriculteur d’économies éventuelles faites dans celle-ci. En particulier la consommation d’une huile vierge qui remplacerait l’huile raffinée assure aux consommateurs un meilleur équilibre alimentaire de l’huile en micro-nutriments (vit E, divers tocophérols et phytostérols qui sont des anti-cholestérol) qui sont éliminés au raffinage. Le raffinage est actuellement nécessaire pour éliminer les résidus de pesticides et les toxines éventuelles dues aux fermentations. Une culture du tournesol avec moins d’intrants, orientée sur le tournesol oléique pour préparer une huile vierge aurait donc deux avantages : pour la prévention des risques de maladies cardio-vasculaires des consommateurs et pour l’agriculteur auquel elle assurerait de meilleures marges.
Le projet est donc de développer des variétés rustiques auto-reproductibles et d’une bonne qualité alimentaire. Ceci est possible en parallèle au schéma d’hybrides F1 et demandent un effort de recherche important depuis les ressources génétiques jusqu’à la production de semences auto-reproductibles, un choix qui doit être effectué de concert avec les différentes tendances de la société civile.
Les variétés synthétiques exigent une expérimentation en concertation avec la filière depuis l’agriculteur jusqu’à l’huilier afin de réduire les coûts et d’assurer la meilleure adaptation du matériel génétique aux besoins. Les recherches amont en génomique permettent d’envisager cette approche avec la meilleure efficacité. Une solution de partenariat avec tous les acteurs est négociable. Ce n’est ni aux chercheurs seuls, ni aux semenciers, ni à la filière de faire les choix pour tous, la discussion est ouverte.

On trouvera en annexe les diapos de cette présentation


Débat :

(devant une trentaine de personnes). Le débat a été intéressant mais parfois décousu. Il est retranscrit ici le plus fidèlement possible, dans l’ordre chronologique des questions/réponses.

QP (Question du public) : les variétés synthétiques (NDLR : mélange hétérogène et reproductible obtenu à partir de lignées) seront-elles plus résistantes face à un pathogène ?

AB (André Bervillé) : oui, sauf si la tolérance à la maladie n’existe pas dans la population, il n’y a pas de miracle.

QP : pourquoi a-t-on abandonné les tournesols non hybrides ?

Réponse dans la salle : on a suivi le schéma du maïs (hybrides de lignées), avec des critères de productivité, de rendement, puis de tolérance aux maladies. Mais chez le tournesol, on ne constate pas de phénomène d’hétérosis comme pour le maïs.

AB : c’est un choix industriel, pour obtenir une homogénéité. S’il n’y avait pas eu les hybrides il y a 40 ans, il n’y aurait plus de tournesol aujourd’hui, car les semenciers n’auraient pas été intéressés et n’auraient pas intéressés l’industrie. Cependant, on constate qu’il existe des variétés population dans les pays de l’Est, qui sont aujourd’hui demandées par certains transformateurs (huiliers).

QP : La F1 ne donne-t-elle pas d’autres avantages supérieurs aux variétés synthétiques ?

AB : la politique des semenciers a été de faire un minimum de variétés pour les vendre pour un maximum de surfaces. Aujourd’hui, les semenciers tentent une meilleure adaptation au terroir.

JFB (Jean François Briat) : qu’il s’agisse de F1 ou de variétés population, l’outil génomique est utile pour les connaître, les identifier, en repérer les caractères. Les outils ne sont pas idéologiques.

QP : Suites aux partenariats que vous êtes obligés de faire entre public et privé, ne craignez-vous pas une instrumentalisation du public par le privé ?

JFB : l’organisation de la recherche change à cause des coûts induits par la génomique. La question à se poser est : quelle société veut-on ? quels biens publics veut-on protéger ? quel doit être le poids des financements publics ? Dans Génoplante, le public protège le bien public en déposant des brevets. Il serait trop simpliste de tout mettre à disposition du public sans protection intellectuelle, pour qu’ensuite le privé s’en empare.

QP : Quel contre pouvoir peut avoir le public ?

Salle : un chercheur (Marc Edouard Colin) donne son exemple : en 98, il étudiait à l’Inra les conséquences du Gaucho de Bayer sur les abeilles. Puis vient Génoplante en 1999, consortium public/privé, dont font partie l’Inra et Bayer. A la même date, l’Inra lui demande d’arrêter ses recherches sur le Gaucho. Coïncidence ?

QP : Pour l’augmentation de la production agricole, les  » forces du marché  » ne sont-elles pas plus déterminantes que la recherche agronomique ? Il en va du domaine de la génomique en santé humaine, comme dans le domaine de la génomique végétale : au nom du retour sur investissement, il y a une trop grande rapidité entre l’acquisition de connaissance et son application industrielle et commerciale (exemple de la thérapie génique, qui promet beaucoup mais rencontre en fait peu de succès).

AB : en fait, les sociétés de biotechnologies sont timorées, ne cherchent pas à lancer d’innovations intéressantes. Sauf Monsanto, qui pendant 10 ans a fait un choix de recherche sur un tournesol oléique, et qui aujourd’hui en détient 80% du marché.

JFB : les sociétés de biotechnologies sont en fait issues des chimistes, qui vendent des molécules. Monsanto, non, car c’étaient au départ des biologistes. Il est vrai que le temps entre la recherche et son application s’est raccourci. Le privé tente systématiquement de récupérer les résultats du public, en ne payant que les coûts marginaux de la recherche (de l’ordre de 10%, que les mêmes chercheurs du public sollicitent au privé) : c’est là qu’est le vrai piège dont il faut être conscient.

QP (Savidan) : on remarque dans certains pays du Sud une recherche sur du maïs résistant à la sécheresse. Pourquoi ne recherche-t-on pas plutôt sur les cultures vivrières du Sud (mil, sorgho) ? En Ethiopie, on cultive aujourd’hui le maïs, mais certaines années l’Ethiopie n’est pas autosuffisante et doit importer ce maïs des Etats Unis.

JFB : Il ne faut pas toujours voir un complot caché. Une des explications peut être que le maïs est très étudié au Nord, il regroupe une communauté de chercheurs. Le chercheur qui travaille sur le maïs sera donc davantage cité et reconnu s’il développe des maïs au Sud, que sur des cultures  » marginales  » (bien qu’importantes pour le Sud). Le Sud a peut-être aussi envie de  » faire comme le Nord « .

AB : il faut remarquer que les cultures développées au Nord le sont aussi en fonction des subventions reçues, et du coût des intrants. Exemple, en Charentes, l’agriculteur cultive du tournesol seulement s’il n’y a pas assez d’eau pour irriguer le maïs. Question : à combien paye-t-il son eau ? quelles subventions reçoit-il pour son maïs ? En l’absence de subvention, et avec une eau plus cher, les assolements changeraient.

JJD (Jean JacquesDrevon) : le progrès en génomique est-il le seul déterminant par rapport aux objectifs des recherches pour les agricultures du Sud ?

La salle : le CGIAR (centres internationaux de recherche agricole) reçoit 400 millions d’euros/an, ce qui est peu comparé aux besoins de recherche et aux budgetsalloués à la génomique. Doit-on mettre tout l’argent sur la génomique, au prétexte qu’on dispose d’un outil performant (mais de luxe, type Mercedes), ou doit-on faire de la sélection variétale classique (outil certes moins rapide, type 2CV, mais beaucoup moins cher) ?

La salle : la recherche ne se fait que pour les marchés solvables.

JFB : aucun programme de transgénèse ne travaille sur des cultures tropicales vivrières. Le scandale, ce n’est pas la transgénèse en elle-même, c’est plutôt que la transgénèse ne s’applique pas à l’agriculture tropicale.

Savidan : je n’ai pas d’états d’âme sur l’utilisation des fonds privés. Mais j’en ai sur celle des fonds publics : qui conduit la recherche ? La technologie ou la demande ? Au Sud, il est clair que jusqu’ici les chercheurs du Nord ont eu un rôle déterminant dans les décisions prises.

Langlois : on ne peut améliorer un hybride sans artificialiser le milieu (engrais, irrigation, pesticides). En tournesol, la demande a-t-elle été pilotée par les agriculteurs eux-mêmes ?

JJD : la demande n’est-elle légitime que si elle est solvable ?

La salle : pour l’industrie pharmaceutique, les orientations sont claires : la recherche ne se fait que sur un petit nombre de pathologies majeures des marchés solvables. Ceci est dû aux coûts pour mettre un nouveau médicament sur le marché (de l’ordre de 2 milliards d’euros). Le public n’en a pas les moyens. Le privé se concentre sur les  » blockbusters  » (médicaments vendus en énormes quantités).

JJD : on pose parfois la question de la malnutrition en ces termes : doit-on confier aux grands bassins de production l’alimentation du reste du monde ou doit-on au contraire, permettre aux populations menacées de famine de se nourrir eux-mêmes ? Selon le consensus actuel, la seconde solution serait préférable pour la sécurité alimentaire de ces populations. Mais la génomique ne s’intéresse qu’aux marchés solvables.

JFB : un exemple : un riz en Afrique de l’Ouest est atteint d’une maladie due à une toxicité ferrique. Aucun programme de biotechnologie ne s’intéresse à ce problème, car le marché n’est pas solvable. A l’inverse, des solutions sont trouvées sur les riz asiatiques qui s’exportent. Quelle doit être la fonction de la recherche publique internationale ?

Campagne : il faudra que la génomique s’intéresse aux biens publics, comme l’environnement ou la santé.

JJD : il semble qu’en recherche médicale, le débat soit tranché en défaveur des biens publics. Qu’en est-il de la recherche agronomique, qui semble malheureusement s’orienter dans la même direction ?

JFB : la génomique ne s’est pas décrétée : elle est issue, comme cela a été dit dans l’exposé, de l’approfondissement des connaissances au cours du temps. Les scientifiques ne font que produire des outils pour répondre à des questions. Le vrai débat citoyen est de savoir comment on valide l’introduction d’une nouvelle technologie dans nos sociétés. Il faut une analyse coûts/bénéfices, mais pas seulement de la part de l’expert scientifique. L’expertise n’est qu’un des éléments de la décision publique, qui doit aussi examiner les enjeux politiques, économiques, éthiques, sociaux…

La salle : les scientifiques du public sont coincés par le privé

JJD : le partenariat INRA avec le privé pour la génomique a changé la nature du partenariat entre l’INRA et la société.

JFB : L’Inra a été créé pour nourrir la population français d’après guerre. Il faut se demander à quoi sert l’Inra aujourd’hui.

Campagne : peut-on estimer la part du travail de génomique qui va avoir des répercussions sur les enjeux environnementaux ?

JFB : la génomique va-t-elle contribué à diminuer les intrants ? Au vu des résultats aux Etats Unis sur le coton, on peut en douter. Mais si la génomique réussit par exemple à faire pousser des plantes en sols salins, alors c’est un succès. Qu’est-ce qui est le plus déterminant : la recherche en génomique ou l’organisation économique de la production ?

JJD : le problème avec la génomique végétale est qu’elle draine les investissements publiques au dépens d’autres thématiques. L’exhaustivité à laquelle prétend la génomique ne revient-elle pas trop cher ? Comment intégrer la génomique aux autres disciplines ?

JFB : la génomique est un outil fabuleux de compréhension des expressions phénotypiques, de l’interaction de l’environnement avec le génome. Dans 20 ans, on aura une réelle intégration entre les écophysiologistes, les agronomes, et les biologistes moléculaires.

JJD : tout chercheur doit s’interroger sur les limites du paradigme dans lequel il travaille.

JFB : à Génoplante, beaucoup de chercheurs se battent pour l’obtention de brevets publics pour éviter le pillage de résultats par le privé.


Annexe : Diapos de la présentation de A. Bervillé

De la génomique à la structure variétale cultivée chez le tournesol
Questionnement sur une espèce
1ère huile consommée en France et Europe, 4ème dans le monde, 2ème espèce cultivée en Europe
Naturellement tolérante à la sécheresse
Privilégiée dans le sud, sud-ouest
Nécessaire pour casser la monoculture blé dur
Reléguée sur mauvaises terres, mais Rdt constant
Revenu faible 150€/ha
Semenciers puissants et incontournables (hyb F1)

2. Organisation production semences
Lignées femelles monocapitées
Forme A mâle stérile
Forme B mâle fertile

Lignées mâles ramifiées
Restauratrice de fertilité mâle
Forme A x Forme R = 100% d’hybrides mâle-stériles restaurés

Semences doivent être achetées
Production et contrôles onéreux (1/3 investissement)
C’est in fine le cultivateur qui paye !

3. Comment augmenter le revenu de l’agriculteur ?
Augmenter le rendement ?
10% de rendementt entraînent 45 € de bénéfice !
Effort de recherche énorme pour résultat maigre !
Diminuer les charges
Travail du sol, investissement culture au minimum
Semences coût élevé (1/3 des charges)
Traitements, Récolte, stockage

4. Recherche et Semences en tournesol
Grands groupes internationaux, gros investissements, génomique et sélection
Variétés hybrides F1 non reproductibles à la ferme, achat obligatoire de semences traitées.
Culture avec peu d’intrants : rendements faibles (23-25Q)
Maladies prévalentes : mildiou, Phomopsis, traitements chimiques obligatoires,
Séchage : risques de fermentation de récolte avant séchage

5. Suite de la filière après agriculteur
Récolte vendue au stockeur
Stockeur vend au triturateur
Triturateur doit raffiner l’huile (surcoût important)
Puis vend à l’huilier
Huilier vend au consommateur via divers détaillants PMS, GMS
Qui paye in fine ? Le consommateur

6. Des améliorations ? des solutions ?
Hybrides F1

Diminuer charges

Résistance monogénique mildiou

Huile raffinée (+50%), élimination micronutriments

Populations autoreproductibles
Moins de traitements chimiques
Résistances polygéniques : mildiou, autres maladies

Aller vers huiles brutes, moins chères, plus équilibrées, vit E et phytostérols, anticholestérol

7. Conséquences de la suppression du raffinage
Coût global
Teneur en micronutriments
Vit E
Phytosterols

Valeur santé

Diminue de 50%
augmente de 50 à 100%
100%
100%
100-150%
Incomparable, huile de mélange type  » Isio4  » ou pur tournesol « oleisol « 

8. Les implications en recherche
Reconsidérer ressources génétiques du tournesol
rechercher populations déjà adaptées de l’Est (Russie)
Créer des populations synthétiques Nouveaux objectifs de sélection
Alimentaires
Composition en acides gras de l’huile
Goût de l’huile
Micronutriments
Industriels : anti-oxydant
Maladies : Mildiou Phomopsis, résistances durables
Rusticité : redéfinition, approche multidisciplinaire

9. Recherches en génomique
Systématiques
Structure et organisation génomique
Connaissances de la réponse aux stress
Introgression et réarrangements Banques génome, étiquettes, cartes

Situations agronomiques
Amélioration par hybridation interspécifique

10. Projets
Utiliser des pop russes
Créer des populations synthétiques multipliées par agriculteurs et semences de fermes moins coûteuses
N’élimine pas les semenciers Recherche de résistances multigéniques
Pilotage des gènes de résistance aux maladies
Rusticité, recherche amont sur mécanismes, physiologie et génétique.

11. Variétés synthétiques Mélange initial de quelques lignées
Résistantes maladies
Haut oléique
rustiques
Brassage interfécondation
Culture de la génération N à N+x Choix délicat, basé sur expérimentation, agronomique et génétique des hybrides résultant
Favorisé par stérilité et autoincompatibilité
Une hétérogénéité nécessaire et reproductible !

12. Génomique et variétés
Hybride F1

une solution,

Équilibre à trouver
Implications économiques, politiques et sociales.

Populations autoreproductibles
Adapté alimentation
Adapté exploitation extensive
Recherches amont autant nécessaires
Nouvelles possibilités offertes pour culture
Relance de la culture

13. De la concertation
Recherche
Matériel génétique
Expérimentation
Choix des générations à cultiver
Construire un circuit des semences
Trituration et commercialisation de l’huile
Milieux professionnels
Agriculteurs Regroupements
Fédération, chambres d’agriculture,
Semenciers
stockeurs
Huiliers
revendeurs