Sciences Citoyennes a été informée de la tenue d’une conférence à l’École normale supérieure (ENS Paris-Ulm) le samedi 18 mai 2019 à 15h, intitulée : « Biodiversité : l’écologie est-elle encore scientifique ? » et organisée par l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) [1]. Outre le titre provocateur, nous aimerions réagir avant tout au choix de l’intervenant, Christian Lévêque. Hydrobiologiste et spécialiste des milieux aquatiques continentaux, Christian Lévêque est également contributeur de la publication libertarienne Contrepoints, hub français des climatosceptiques.
Bien qu’il n’ait pas lui-même nié explicitement le consensus scientifique sur l’existence d’un réchauffement climatique d’origine anthropique, Christian Lévêque fait partie de celles et ceux qui veulent relativiser la réalité de l’impact de l’être humain sur la nature. Dans son livre de 2013, qui donne son titre à la conférence du 18 mai, il cherche à minimiser la responsabilité de l’espèce humaine en affirmant notamment que « la contingence et le hasard deviennent les principaux acteurs de la dynamique des communautés sur le long terme » [3].
La conférence qu’il donnera à l’ENS portera sur la biodiversité et non sur le changement climatique, mais les propos Christian Lévêque concernant la chute actuelle de la biodiversité sont similaires. Quelle que soit la question écologique considérée, les positions de Christian Lévêque ont un point commun : elles consistent à dénoncer une collusion entre science et idéologie, et à se présenter en défenseur de la seule vraie science qui ne serait pas tombée aux mains de militants écologistes.
En feuillant son livre et les articles qu’il a publié sur Contrepoints [4], il est donc assez facile de prévoir la réponse que Christian Lévêque compte accorder à la question contenue dans le titre de sa conférence : non, l’écologie ne serait plus vraiment scientifique, la plupart des scientifiques de ce domaine serait en réalité de dangereux·ses idéologues. Il s’agira de dénoncer une écologie militante qui adopterait la vision idéalisée de la nature promue par les ONG, et de ne retenir comme écologie scientifique légitime que celle qui démontrerait que « l’Homme n’est pas un loup pour la Nature » [3].
Mais la vision romantique d’une nature vierge n’est plus promue que par de rares ONG de protection de l’environnement, et si l’imaginaire d’une nature idéale est souvent déployé à des fins de communication politique, la plupart des ONG intègrent bien les sociétés humaines dans les stratégies de protection de la nature qu’elles proposent.
Par ailleurs, la vision de l’écologie scientifique que défend Christian Lévêque n’est pas moins politique que celle des ONG de défense de la biodiversité : il promeut explicitement une écologie qui déculpabilise les êtres humains de leurs impacts néfastes sur la nature. Le discours de Christian Lévêque est donc dangereux non seulement parce qu’il peut servir de caution à l’inaction politique face aux catastrophes environnementales en cours, mais également parce qu’il remet en cause la scientificité d’une écologie qui ne partagerait pas sa vision.
Pourtant, l’écologie est plurielle, qu’elle soit un mouvement politique ou une discipline scientifique. L’écologie scientifique qui documente les dégâts de l’être humain sur la nature n’est pas moins légitime que celle qui montre les apports de l’être humain à la biodiversité. Bien entendu, des positions critiques sur les méthodes et pratiques scientifiques employées en écologie sont nécessaires. Mais la critique que Christian Lévêque fait ne porte pas sur une certaine méthode ou un certain résultat : elle n’a pas une base scientifique mais idéologique, alors même qu’il essaie de se présenter en garant de la scientificité d’une écologie dépourvue d’influence idéologique.
En somme, ce que reproche Christian Lévêque aux écologues est de ne pas partager sa vision politique de ce que doit être l’écologie. Mais au lieu d’exprimer ce reproche comme tel, il essaie de délégitimer leur travail en leur refusant une valeur scientifique. Sciences Citoyennes s’oppose à la vision de Christian Lévêque, sans pour autant remettre en cause sa légitimité de chercheur reconnu dans son domaine, car ce n’est pas notre rôle. Ce que nous condamnons, c’est le masque de neutralité dont se parent Christian Lévêque et autres expert·e·s de l’AFIS, pour s’arroger le droit de définir l’orthodoxie en science, et exclure les scientifiques qui n’ont pas la même idéologie qu’eux.
Nous encourageons toutes celles et ceux qui le souhaitent à se rendre à cette conférence pour mieux comprendre la position de cet ancien chercheur. Cependant, ne soyons pas dupes de son appel à affranchir la science des idéologies : l’écologie scientifique a plusieurs visages, et aucun d’entre eux n’est neutre et indépendant du contexte politique et social dans lequel il existe. Christian Lévêque le reconnaît en partie. Mais ce qu’il ne dit pas clairement, c’est que le visage qu’il cherche à imposer est celui d’une écologie du déni, au service du statu quo et de la déresponsabilisation des êtres humains qui mettent en péril notre bien commun qu’est l’environnement.
Le groupe local Ile-de-France de Sciences Citoyennes
[1] https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/agenda/afficheag2019v3.pdf [1]
[2] Lévêque C., L’écologie est-elle encore scientifique ?, Éditions Quæ, Versailles, France, 2013.
[3] https://www.contrepoints.org/2018/10/05/326830-lhomme-nest-pas-un-loup-pour-la-nature [2]