Combat pour l'intelligence scientifique

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lundi 28 novembre 2005

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Directeur de recherche à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), Jacques Testart est connu comme le « père » du premier bébé conçu par fécondation in vitro en France. C’était en 1982. Depuis lors, la génétique a fait son entrée en force et ce biologiste de la reproduction a très vite compris les dérives que cette nouvelle donne laissait planer sur sa spécialité. Renonçant personnellement à certains travaux, il se bat pour une recherche placée sous le signe de l’éthique plutôt que celui du marché, pour une science plus transparente et plus démocratique. Les conférences de citoyens représentent, à ses yeux, l’une des pistes les plus intéressantes à ce niveau – dès lors qu’elles reposent sur une pratique codifée, reconnue par la loi et les décideurs politiques.

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Jacques Testart

Mai 2003. Jacques Testart et son équipe démissionnent de la Commission du développement durable, organisme de réflexion très officiel mis en place par le gouvernement français. « La Commission était un laboratoire d’idées, pas un cercle politique. C’est la censure exercée sur notre programme d’activité qui s’est révélée insupportable », explique-il à l’époque. Plus précisément, le refus d’organiser une conférence de citoyens sur la politique agricole. Or, les relations entre la science et le public sont un des chevaux de bataille de ce biologiste, membre actif de la Fondation Sciences Citoyennes, une association dont l’objectif est de mettre la science au service du bien commun.

Flash back. Amandine est née le 24 février 1982. Ce jour-là, Jacques Testart est entré dans la légende, du moins en France, puisque cette petite fille était le « premier bébé éprouvette » né dans ce pays. « Les médias ont fait de moi une sorte de héros, alors que j’avais réalisé antérieurement et réalisé ensuite des recherches plus importantes sur le plan scientifique, autour desquelles on a fait beaucoup moins de bruit. Les journalistes décident des sujets qui doivent intéresser les gens et il se fait que je me suis trouvé dans le bon créneau. « 

Les ambiguïtés de la génétique
Testart, on l’aura compris, a son franc-parler, des idées claires, des refus sans ambiguïté, des choix qui lui tiennent à coeur et valent de s’y donner jusqu’au bout. En 1986, ce biologiste, explique qu’il ne souhaite pas s’engager dans certains travaux – ceux qui n’auraient pas pour but d’aider les couples stériles à mettre des enfants au monde. Le piège qu’il sent poindre est posé par la génétique. Il ne veut surtout pas y mêler la question de la procréation et pressent, dans des connivences possibles entre ces deux approches, toutes les embûches et les questions éthiques qui vont se poser.

Il sait, par exemple, que le DPI – le diagnostic préimplantatoire qui permet de sélectionner un œuf « sain » avant de l’introduire dans l’utérus – n’est pas loin, et surtout les visées eugénistes qui pourraient en découler. « Quand le DPI est devenu une pratique réalisable, au début des années ’90, nous avons, avec un confrère généticien, proposé à nos collègues, à travers le monde, de s’engager à respecter une clause déjà spécifiée dans notre législation : le diagnostic ne doit porter que sur une anomalie génique chez chacun des embryons conçus par un couple à risque. La plupart des patriciens, surtout étrangers, ont refusé. Certains nous ont reproché d’attenter à la démocratie et à la liberté des couples. »

Démocratie et liberté, ce sont bien là des mots qui ont dû faire frémir Testart. Il sait qu’actuellement le seul frein technique du DPI à de possibles dérives eugéniques est le manque d’embryons. Lorsqu’on pourra en produire des dizaines, il suffira de choisir le « supposé meilleur ». « On en arrivera à fabriquer une population d’individus assez conformes à un idéal forcément subjectif, se ressemblant aussi bien dans leur structure génétique que dans leurs habitudes alimentaires. Des individus socialement clonés, en quelque sorte. Le contraire de la variété. »

Conférences, mode d’emploi
Mais n’est-ce pas le socialement conforme, le meilleur modèle, que souhaite la majorité des parents – un enfant sain, beau, doué, gagnant sur tous les tableaux ? Non, pense Testart, qui mise sur l’intelligence de ceux qui ont accès à une information réellement transparente. Et de prendre l’exemple de la peine de mort. « Quand le ministre français de la Justice, Robert Badinter, a résolu d’y mettre fin, en 1981, il était évident qu’il allait contre l’avis majoritaire de la nation. Cela pouvait sembler totalement anti-démocratique. Or, si l’on avait créé une conférence de citoyens sur cette question, je suis sûr que les gens auraient été d’accord avec Badinter. Tout simplement parce qu’ils auraient été informés. »

C’est sous les auspices de la Commission française du développement durable que Testart a découvert les vertus d’une première expérience de conférences de citoyens qui s’est déroulée, en 2002, sur le thème de l’énergie. Soigneusement préparés, les débats se sont passés selon des règles précises. Des citoyens ont été sélectionnés par des équipes de sondage (« si vous le faites par voie de presse, vous tombez forcément sur des gens partisans, d’un bord ou d’un autre »). Ces personnes, qui n’ont pas a priori « d’intérêt » particulier pour le sujet (« on est loin des lobbies ») reçoivent une formation intense, durant deux ou trois week-ends. « Un comité de pilotage multidisciplinaire (experts, acteurs politiques, sociologues, etc.), qui rassemble des points de vue contradictoires sur la question, imagine un programme et choisit les formateurs. A leur tour, ces derniers ne présentent pas des opinions homogènes et l’on peut donc qualifier ce programme d’objectif. » Le comité de pilotage ne rencontre pas les citoyens. Le lien est établi avec une personne neutre (psychosociologue, professionnel des relations publiques) qui vivra chaque week-end de formation, régulera les conflits. Ces journées sont rythmées par des exposés et des débats. Les repas sont pris entre citoyens – sans la présence des formateurs, pour éviter les possibles manipulations. Tout est filmé en vidéo et les bandes sont à la disposition des sociologues, ou autres spécialistes, travaillant sur le débat public.

A la fin du programme, le groupe demande au comité de pilotage de convoquer d’autres orateurs, pour leur permettre d’éclaircir certains points ou écouter de nouveaux arguments. « C’est alors que l’on s’aperçoit de tout le travail d’information et de réflexion opéré par ce groupe de citoyens. Ils sont presque devenus eux-mêmes des experts et leur sens critique s’est aiguisé. Les nouveaux intervenants sont réellement mis sur le grill. » Et puis, bien souvent dans la nuit, le groupe rédige ses conclusions, une conférence de presse est organisée le lendemain. « Il y vient très peu de journalistes… Vous pensez, des citoyens, ça n’intéresse pas les médias… »

Question, pourtant : comment une quinzaine d’individus peuvent-ils exprimer un avis crédible, en principe représentatif de l’ensemble d’une population, même s’ils sont triés selon différents critères propres aux « sondeurs » – sexe, région, âge, sensibilité politique ou philosophique ? Pour Testart, c’est affaire d’information et de débats. « Chaque personne est dangereuse dans son opinion car elle voit son intérêt personnel. Dans une conférence de ce type, les gens réagissent en citoyens et non plus en individus. Ils deviennent altruistes et les conclusions qu’ils mettent en avant s’attachent réellement à vouloir le bien de la communauté humaine. »

Et ensuite ? Que deviennent ces avis ? « L’idéal serait de faire rentrer ce principe de démocratie dans la loi. Toute question litigieuse apportée par une nouvelle technologie serait ainsi soumise à une conférence de citoyens, organisée par une instance nationale officielle, suivant un cahier des charges très strictement défini. Le parlement débattrait ensuite des avis en résultant. Cela ne veut pas dire qu’il les suive – nous sommes en démocratie parlementaire – mais cela signifierait que ces remarques et ces propositions soient examinées par des élus qui seront ensuite responsables de leurs choix, en disposant d’informations complémentaires à la propagande des lobbies. »