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Bronchite chronique et emphysème : le tabac n’est pas le seul coupable

L’environnement professionnel serait aussi en cause, responsable d’au moins un cas sur cinq, conclut une étude américaine à paraître dans l’ERJ de septembre. Cette enquête de grande envergure a englobé plus de 2 000 patients, sélectionnés à partir de 40 000 individus tirés au sort à l’échelle des États-Unis tout entiers.L’équipe multidisciplinaire de l’Université de Californie à San Francisco qui l’a entreprise conclut que la bronchite chronique et l’emphysème, ou plus généralement l’ensemble des pathologies respiratoires que les médecins nomment des BPCO, touchent deux fois plus souvent des individus ayant été exposés à des émanations toxiques sur leur lieu de travail, indépendamment de leur tabagisme éventuel. Selon les auteurs de l’article à paraître dans l’ERJ, de 20 à 30% des cas de BPCO pourraient être attribués aux émanations rencontrées sur le lieu de travail. Les responsables de santé publique devraient dorénavant tenir plus largement compte de ces résultats, écrivent-ils.

La bronchite chronique et l’emphysème, ces affections pulmonaires typiques du fumeur que les spécialistes regroupent désormais sous l’appellation générique de BPCO (pour Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive), se caractérisent par une inflammation chronique des poumons. Elles mènent progressivement à un rétrécissement des bronches et à une entrave de plus en plus dramatique de la respiration.
Or, non seulement ces BPCO -qui font 3 millions de morts chaque année dans le monde et qui sont appelées à devenir la 3e cause de mortalité d’ici 15 ans- sont très mal connues du grand public, mais elles sont aussi sous-estimées par le corps médical, qui ne diagnostique qu’une partie des cas. Une situation d’autant plus paradoxale que leur impact sur la santé est considérable, et qu’elles pèsent très lourd dans les budgets de santé publique, soit directement (visites chez le médecin, hospitalisation, médicaments) soit en raison des coûts indirects qu’elles induisent (absentéisme professionnel, perte de productivité, cessation prématurée d’activité).

D’où l’intérêt de l’étude dont l’ERJ de septembre publie les résultats. Car si la responsabilité du tabac dans les BPCO n’est plus à démontrer, il reste qu’une proportion importante des cas n’ont peut-être que peu de rapport avec la fumée, et que la responsabilité de l’environnement professionnel y est certainement importante.
Aussi, comme le soulignent Laura Trupin qui signe l’article de l’ERJ, « l’estimation précise de la proportion de cas de BPCO attribuable aux diverses occupations professionnelles est une donnée capitale pour la santé publique, car elle pourra mener à la mise en place de mesures préventives plus efficaces ».

Des pompiers aux boulangers

L’étude californienne à paraître dans l’ERJ de septembre a eu le mérite d’éviter les principaux biais qui guettent ce genre de travaux, comme par exemple l’âge des sujets étudiés, la durée de leur exposition aux toxiques inhalés, ou l’exiguïté du territoire couvert.
C’est ainsi d’une part que Laura Trupin et ses collègues ont choisi de concentrer leur étude sur des individus âgés de 55 à 75 ans, une tranche d’âge correspondant bien au pic d’incidence des BPCO. D’autre part, les sujets choisis pour l’enquête téléphonique ont été recrutés par tirage au sort sur une région très vaste, pratiquement l’ensemble des Etats-Unis. Enfin, au lieu de se focaliser sur les divers gaz, vapeurs, fumées, poussières ou autres émanations toxiques inhalés durant l’activité professionnelle la plus récente, l’étude californienne a retenu pour chaque sujet la plus longue exposition rencontrée dans sa carrière professionnelle.

Pour déterminer l’exposition professionnelle de chaque individu, Laura Trupin et ses collègues se sont basés d’une part sur les indications données par chaque sujet quant aux substances qu’il disait avoir inhalées, et d’autre part sur un tableau matriciel développé par la European Community Respiratory Health Survey, qui pour chaque type d’emploi indique le degré d’exposition (faible, moyen ou élevé) à des substances potentiellement toxiques pour les poumons.

L’équipe californienne s’est ensuite efforcée de classer les facteurs de risque professionnels en trois catégories, afin de les regrouper dans des secteurs d’activité spécifiques. C’est ainsi que les vapeurs, gaz ou fumées liées à la combustion de matériaux divers concernent avant tout les ouvriers des hauts-fourneaux et des fonderies, les utilisateurs de machines à moteur diesel, et les pompiers. Dans le deuxième groupe, le plus exposé aux poussières et fumées non organiques, on trouve essentiellement les mineurs et les travailleurs du métal. Quant aux fermiers, boulangers, ou travailleurs du textile, ils constituent le troisième groupe, surtout exposé aux poussières organiques.

Laura Trupin et ses collègues ont pu interviewer par téléphone un total de 2 061 personnes, après avoir contacté plus de 40 000 ménages, dont ont été éliminés ceux où aucun membre de la famille n’avait entre 55 et 75 ans, ainsi que ceux où les chercheurs se sont heurtés à un refus de collaborer ou à une barrière linguistique. Environ la moitié des individus provenaient de régions réputées pour leur taux élevé de mortalité par BPCO.

Un élément nouveau pour les politiques de prévention

Premier résultat de l’étude californienne : sur les 2061 sujets interrogés, 377 savaient par leur médecin qu’ils avaient un emphysème, une bronchite chronique, ou autre affection respiratoire chronique pouvant être qualifiée de BPCO. C’est évidemment ce groupe qui compte la plus forte proportion de fumeurs ou d’ex-fumeurs : 81%, contre 57% pour les sujets où aucune affection respiratoire n’avait été diagnostiquée.
Ce dernier chiffre montre bien que le tabac n’est pas seul en cause, ce que confirment les autres données révélées par l’article de l’ERJ. En effet, plus de la moitié des sujets souffrant de la BPCO ont signalé avoir été exposés à des émanations d’origine professionnelles, alors qu’on n’en comptait qu’un sur trois parmi les individus sans problème respiratoire.
En outre, les comparaisons chiffrées auxquelles se sont livrées les auteurs de l’étude montrent que l’exposition aux diverses émanations d’origine professionnelle multiplie par deux le risque de BPCO. Au point – ajoutent Laura Trupin et ses collègues – que l’exposition professionnelle pourrait avoir contribué à 20 à 30% des cas de BPCO dûment diagnostiqués, ce qu’ils jugent « considérable ». Des résultats qui ont évidemment été ajustés, statistiquement, pour tenir compte du rôle du tabagisme.

Cette conclusion rejoint d’ailleurs une autre constatation qui ressort de l’enquête : parmi les sujets souffrant de BPCO, seuls 19% étaient encore professionnellement actifs, contre presque le double chez les autres. Une différence dont les auteurs soulignent qu’elle reflète bien le rôle délétère de ces affections respiratoires chroniques, et leur impact majeur sur la vie professionnelle.
Il reste que si le tabac joue un rôle prédominant dans le développement d’une maladie pulmonaire obstructive, le simple fait d’être soumis à des émanations professionnelles augmente considérablement le risque. Les auteurs ont même calculé que, comparé à un non fumeur sans exposition professionnelle, un fumeur soumis à des émanations toxiques sur son lieu de travail peut avoir un risque de BPCO 18 fois supérieur !

Des résultats qui, de l’avis de Laura Trupin et de ses collègues, ne laissent pas de doute sur les nécessaires mesures de santé publique et de prévention : « Si le tabagisme reste la cause prédominante des BPCO, nos résultats attribuent un rôle tout aussi important à l’environnement professionnel. Les cliniciens et les instances politiques qui s’occupent de santé publique devraient donc aussi prendre en compte les conditions de travail lorsqu’ils mettent en place des stratégies de prévention », concluent les auteurs de l’article à paraître dans l’ERJ de septembre.

Commentaires de André Cicolella

Cette étude confirme l’importance des facteurs autres que le tabagisme dans l’étiologie de la BPCO. rappelons que la BPCO fait l’objet de 2 tableaux de maladies professionnelles spécifiques :

n°70 : « Affections professionnelles provoquées par le cobalt et ses composés » (Cobalt et composés),

n°91 « Bronchopneumopathie chronique obstructive du mineur de charbon » (Travaux dans les mines de charbon ) et 94 « Bronchopneumopathie chronique obstructive du mineur de fer » (travaux dans les mines de fer ).

Elle est reconnue :

- dans le cadre du tableau n°90 « Affections respiratoires consécutives à l’inhalation de poussières textiles végétales » (Poussières textiles végétales),
- comme complication de l’asthme dans les tableaux 66 RG 66 -« Rhinites et asthmes professionnels » (Contact avec des allergisants).

- n°70 : « Affections professionnelles provoquées par le cobalt et ses composés » (Cobalt et composés)

D’autres professions devraient pouvoir bénéficier d’un tel tableau, au vu des données épidémiologiques, notamment ouvriers du bâtiment, sidérurgistes…

Cela étant, la reconnaissance dans un tableau n’est qu’une partie du problème. Outre le faible taux de la compensation , le problème est la sous déclaration des maladies professionnelles et l’absence à ce jour de réparation intégrale du préjudice, malgré la demande répétée de la FNATH (Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés) et le consensus de tous les partis politiques à ce sujet, la situation n’a guère bougé.

Le Journal Européen de Pneumologie (ERJ [1]) est la publication scientifique « peer-reviewed » de la Société Européenne de Pneumologie (ERS [2], European Respiratory Society), qui regroupe plus de 5 800 spécialistes de la pneumologie et des maladies pulmonaires en Europe, aux Etats-Unis, et en Australie.