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ATTAC et le mouvement des chercheurs

Des milliers de directeurs de laboratoires ont massivement démissionné de leurs responsabilités administratives le 9 Mars 2004, au fil d’un combat qui, pour la première fois, a été largement médiatisé. C’est que les chercheurs ne disposent pas habituellement des moyens de pression d’autres professionnels (enseignants, cheminots, journalistes, etc …) pour démontrer leur contribution à la vie quotidienne : il n’y a pas d’usagers de la recherche en temps réel …

Il était nécessaire qu’ATTAC affirme sa solidarité avec ce mouvement car l’activité de recherche est déterminante pour la culture et l’économie, même si ses effets sont parfois largement différés. Comment accepter que le gouvernement concède à la recherche un « bonus » cinquante fois moindre que celui alloué aux restaurateurs ? ou qu’il s’oppose à la création de 550 postes, soit cinq fois moins que ceux créés dans l’Armée en 2004 … ? Il est intéressant de remarquer combien le modèle libéral des Etats-Unis est ici, et de façon exceptionnelle, complètement bafoué : pourquoi notre gouvernement tellement soucieux de croissance et de compétitivité ne fait-il pas confiance à sa recherche scientifique (qui, toutes proportions gardées, ne fait pas si mauvaise figure) pour le progrès économique ? pourquoi n’investit-il pas massivement dans la recherche et l’innovation, conformément à ses discours plutôt que laisser les maîtres actuels du monde confisquer nos jeunes chercheurs ?

Je crois que les actions de ce gouvernement sont toujours des régressions en deux temps, comme montré dans d’autres secteurs (éducation, santé, culture …) : d’abord casser l’outil, puis le réparer à la mode libérale. Nul doute que la recherche recevra de gros moyens dès que les chercheurs seront démunis du statut de fonctionnaire et que l’industrie (déjà peu discrète) imposera les orientations des laboratoires publics.

Pourtant, dans ce débat sur la recherche, ATTAC ne peut se contenter de soutenir les chercheurs face aux incuries gouvernementales mais doit aussi faire des propositions pour que la recherche soit au service des citoyens du monde, c’est-à-dire pour exiger que cette activité, comme les autres activités du secteur public, soit mise en démocratie. Pour celà il faut commencer, même si cela déplait à de nombreux collègues, par démystifier le métier et la fonction de la recherche. Par exemple, ne plus désigner les chercheurs comme « cerveaux » (« la fuite des cerveaux »), ce qui laisse croire à une élite parmi des citoyens décérébrés ; ne plus se focaliser sur une mythique « recherche fondamentale » alors que l’acquisition de connaissances fondamentales et leur valorisation (« recherche appliquée ») s’entremêlent dans les mêmes lieux et entre les mêmes mains, pour produire une recherche presque toujours orientée, finalisée ; ne plus parler de « science » mais de « technoscience » pour désigner cette situation ; ne plus accepter comme « progrès » tout ce qui est nouveau mais seulement ce qui est bénéfique, etc .

En fin 2003, peu avant le début du mouvement des chercheurs, le Conseil Scientifique d’ATTAC avait créé un groupe de travail « Science et citoyenneté » pour réfléchir à la place de la technoscience dans la société et à l’implication souhaitable des citoyens. Il est frappant de constater que les interventions récentes sur la crise et l’avenir de la recherche ne font aucune place à cette préoccupation. Il n’est question que de compétition entre chercheurs, avec des exemples fournis dans le milieu sportif : football (P. Kourilsky, Fr inter 10 Mars 2004) ou cyclisme (P. Pouletty,Le Monde, 6 Mars 2004). Comme si le but assigné à l’institution de recherche par les citoyens qui la financent pouvait se confondre avec le carriérisme de quelques vainqueurs, comme si la collaboration entre les laboratoires internationaux n’était pas le meilleur moyen de soulager les souffrances humaines. La recherche publique n’a pas pour but essentiel d’assurer la compétitivité, sous ses formes variées, mais de produire des connaissances et des moyens de jouissance, de développer la culture et l’expertise publique, de favoriser la citoyenneté dans un monde largement soumis à la technoscience. Ni le manifeste « sauvons la recherche », ni « le projet pour le CNRS », ni la « contribution des Nobel », ni les innombrables prises de position dans les médias par des chercheurs ou des politiques ne se soucient des attentes des citoyens, et la mission attribuée aux « Etats Généraux de la Recherche » montre que le système se referme sur lui-même : le Comité national créé pour piloter ces Etats Généraux est exclusif du monde de « la science » et les finalités de ses travaux sont d’orientation syndicale (emplois et budget) en ignorant les implications politiques et sociales.

Les chercheurs n’ont aucune légitimité pour constituer seuls une communauté autonome, capable de savoir ce qu’est le bien commun. D’autant que, quels que soient les moyens qu’on voudra lui attribuer, la recherche ne peut concerner qu’une partie des sujets susceptibles d’être explorés ou valorisés. Aussi, piloter la recherche c’est d’abord faire des choix. Or ces choix ne devraient pas échapper à la régulation sociale contrairement à ce que prétend le récent « projet pour le CNRS » où on peut lire « Le CNRS se doit de choisir les thèmes prioritaires en fonction de sa vision du monde scientifique, technologique, économique et social … » Veut-on une République des savants ou une démocratie des savoirs ? « Pour sauver la recherche, ouvrons là ! » avions nous écrit (Libération, 22 Janvier 2004) au nom de l’Association Sciences Citoyennes, partenaire d’ATTAC dans cette réflexion, mais le propos est encore inaudible pour la plupart des acteurs. Il l’est même souvent pour le public, lequel hésite avant d’oser poser les questions importantes : pourquoi des plantes transgéniques (toujours sans avantage) et pas plus de recherches sur les méthodes culturales, les améliorations variétales ? … pourquoi les thérapies géniques (toujours inefficaces) et pas plus de recherches sur les maladies contagieuses, surtout exotiques, sur les résistances bactériennes ? … pourquoi de nouvelles machines nucléaires (EPR, ITER, … toujours dangereuses à long terme) et pas plus de recherches sur les économies d’énergie, la pollution environnementale ? …

La mission sociale de la recherche ce n’est pas seulement de mener « l’explication et le dialogue avec le public, d’expliquer la recherche … » (dixit les Nobel), c’est aussi de recueillir et respecter l’opinion d’un public informé, capable de faire des choix éclairés. Or, les modalités d’un contrat entre science et société n’ont jamais été établis. « Sauver la recherche » c’est l’ouvrir à la démocratie pour lui donner pleine légitimité. C’est sur ces pistes que doit s’engager la réflexion d’ATTAC.

Jacques Testart, Directeur de Recherche à l’INSERM