- Sciences Citoyennes - https://sciencescitoyennes.org -

Analyse du « RIC délibératif »

Cette analyse a été élaborée par Sciences Citoyennes et la Commission démocratie d’ATTAC [1]

Neuf auteurs1 [2] emmenés par Loïc Blondiaux ont publié le 19 février 2019 une note de Terra Nova proposant un « référendum d’initiative citoyenne délibératif »2 [3], donnant aux citoyens « non seulement le choix des réponses mais aussi celui des questions ». Cette proposition est présentée en détail en Annexe 1. Elle ne traite que des RIC dits législatifs et abrogatifs, c’est-à-dire permettant de proposer un projet de loi à l’Assemblée nationale, de voter une loi ordinaire ou organique ou d’abroger une loi, sans présager de l’éventuel intérêt des RIC infra-législatifs (visant un décret), locaux (à propos d’un arrêté municipal par exemple), constitutionnels (révision de la Constitution), révocatoires (mettre fin au mandat d’un élu) ou ayant trait à un traité international.

 

Télécharger le document en pdf [4]

 

Dans un premier temps, Blondiaux et coll. listent les risques du RIC (ou les craintes), pour les réfuter ou y répondre par la procédure, risques que d’autres comme le sociologue Yves Sintomer3 [5] préfèrent définir comme des défis. Nous les listons en Annexe 2.

Assemblée citoyenne ou convention de citoyens

Le premier point fort qui justifie l’ « invention » du RIC délibératifest la tenue d’uneassemblée citoyenne avant la tenue du référendum. Celle-ci devrait réaliser une étude d’impact et rédiger un « rapport exposant les conséquences pratiques » du oui et du non. Il est dommage que cette proposition importante n’occupe que moins d’une page et demie dans une note de 38 pages. Il est aussi dommage que la note oublie de se référer à plusieurs articles récents dont la démarche est comparable mais dont certaines modalités pour instituer et faire travailler un mini public tiré au sort semblent plus propices à faire apparaître des propositions conformes au bien commun. Après un article de Sintomer4 [6], il y en eut un autre par ce même sociologue et l’économiste Thomas Coutrot5 [7] et aussi un point de vue de militants des associations Attacet Sciences citoyennes6 [8]. Alors que Sintomer propose, comme Blondiaux et coll., une assemblée citoyenne d’une centaine de personnes, les deux autres articles demandent l’un une conférence de citoyens, l’autre une convention de citoyens. Ces dernières procédures,qui regroupent 15 à 20 personnes, sont voisines puisque la convention de citoyens est la version rationalisée et reproductible de la conférence de citoyens, telle que proposée par Sciences citoyennes depuis 2007 7 [9]8 [10]. Le choix des participants à la convention de citoyens doit viser :

–    une représentativité sociologique des membres de la convention pour donner à chacun des arguments un ancrage populaire : minorisation des arguments qui ne sont représentatifs que des élites, et couverture extensive des classes populaires en termes de situations de vie ;

–    l’absence de comportement mimétique, chacun devant se prononcer en âme et conscience, de manière authentique. Les conditions de débat sont donc essentielles.

L’effectif de ces mini publics est important car, si l’intelligence collective peut se manifester avec 100 comme avec 15 participants, une autre vertu majeure de ces procédures est d’apparition plus probable au sein d’un effectif réduit : il s’agit de l’empathie qui s’empare des acteurs des conventions de citoyens et les conduit à relativiser leurs intérêts propres au profit de propositions qui visent le bien commun9 [11]. De plus, le travail en groupe important privilégie les professionnels ou militants qui ont l’habitude de la discussion en larges assemblées, alors que passer d’un groupe de 25 à un groupe de 100 n’apport rien quant à la représentativité statistique. Le travail prévu en séances plénières et commissions favorise de même les participants familiarisés avec les jeux de pouvoir. Ces propositions sont donc défavorables aux « simples » citoyens.

Quelques autres points de la procédure nous différencient de la note de Blondiaux et coll. Ils souhaitent ajouter à l’assemblée de citoyens tirés au sort une douzaine de députés (un par groupe parlementaire) afin de « ne pas affaiblir » la fonction parlementaire, comme s’ils craignaient de déplaire aux élus. Cette position, outre qu’elle signale une méfiance à l’égard du peuple, risque de nuire à la liberté inventive des échanges entre citoyens. Il faut rappeler la grande spécificité de l’apport des tirés au sort : l’indépendance et l’impartialité dans l’approche ce qui (et c’est normal) n’est pas le cas des parlementaires, l’apport dans l’argumentation d’éléments inédits et peut-être imprévisibles, ce qui (et là aussi c’est normal) n’est pas le cas des parlementaires s’inspirant toujours d’une orientation d’ensemble. Le plus important est cependant la qualité unique d’un groupe de citoyens tirés au sort et décidés à s’investir sans réserve pour le bien commun.

De plus, l’assemblée serait présidée par une personnalité compétente dans l’organisation des débats. Si les conventions de citoyens bénéficient d’un animateur professionnel (psycho-sociologue), celui-ci est investi d’une tâche purement technique et ne saurait en même temps présider le groupe des citoyens, lequel n’a nul besoin de dirigeant.

Par ailleurs, est-il sage de prévoir une semaine de réunion par mois (pendant trois mois) pour cette assemblée sachant que les réunions durant les jours ouvrables écartent certains citoyens davantage que les travaux de week-end ? La note prévoit une rémunération (à la hauteur du salaire d’un parlementaire) pour les citoyens impliqués dans l’assemblée. Il s’agit d’un mimétisme mal placé qui pourrait faire miroiter un pouvoir législatif de l’assemblée des citoyens. Si l’expérience montre que cette offre pécuniaire facilite grandement le recrutement, c’est au risque de devenir une motivation majeure. D’autres grandes différences apparaissent entre cette assemblée et la convention de citoyens, qui expriment sans doute une méfiance vis-à-vis du gouvernement du peuple et une tolérance vis à vis des lobbies et groupes défendant des intérêts hostiles au peuple. Pourquoi les séances plénières de l’assemblée des citoyens doivent-elles être publiques, au risque de prêter le flanc aux porteurs d’intérêts ? Qui choisit les experts « pour et contre » ? C’est là un point fondamental car la vérité ne peut être approchée que par la confrontation de savoirs variés. La convention de citoyens veut résoudre cette difficulté par son comité de pilotage composé délibérément d’experts aux points de vue différents, lesquels ont pour mission de s’accorder sur un programme de formation à offrir aux citoyens en identifiant par consensus des intervenants défendant des options variées. Le choix des experts invités vise un contraste maximal des opinions de manière à ce que tous les arguments existants dans la société soient présentés. Finalement, qui réalisera la synthèse des travaux réalisés ? Tout scribe, même honnête, ne peut qu’opérer des choix (ses choix), en valorisant certains points et en négligeant les autres. Il n’appartient qu’aux citoyens inclus dans la procédure de produire leurs conclusions.

Financement

Le second point fort de la note de Blondiaux et coll. est de prévoir en détail le financement de la campagne de recueil des signatures et de la campagne pour ou contre la question soumise à référendum. Cet aspect, inspiré de la loi de financement des activités politiques, vise à éviter le poids des citoyens les plus fortunés et surtout des groupes d’intérêt. Cependant on peut regretter qu’une place encore trop grande soit faite pour les citoyens les plus fortunés en autorisant jusqu’à 750 € le financement par un particulier de la pétition initiale. Une limite de l’ordre de 100 € nous paraît plus équitable. Et il serait utile et juste de permettre aussi le financement de cette pétition par les organisations de la société civile au prorata du nombre de leurs adhérents citoyens.

Seuils de signatures et de succès

La note prévoit un minimum de signatures en faveur du référendum équivalent à 2 % du corps électoral, pour éviter une inflation de RIC, soit deux fois plus qu’en Suisse ou en Italie pour des RIC législatifs. Or aucune étude ne vient confirmer que les seuils les plus faibles observés dans le monde induisent une inflation de RIC, ce qui n’est qu’un apriori. Nous proposons donc un seuil similaire à ceux de la Suisse ou de l’Italie, soit de l’ordre de 1 % du corps électoral. Pour que ce chiffre tienne compte de la participation des électeurs aux élections qui peut varier grandement, ce seuil pourrait être aussi de l’ordre de 2 % des électeurs du second tour de la dernière élection présidentielle. Mais faut-il prendre l’élection présidentielle comme une référence ?

L’introduction d’un seuil de souscriptions double pour un RIC abrogeant une loi ou portant sur des questions fiscales ne nous paraît pas plus justifiée.

Classiquement, le seuil de succès d’un référendum est exprimé par la majorité des votes exprimés et une participation minimale de 50 % des inscrits. Si la majorité de oui n’est guère contestable, ce n’est pas le taux de participation qui est le plus significatif, mais le pourcentage des électeurs inscrits qui se sont prononcés pour le oui. Cette dernière limite devrait être fixée à partir des chiffres des RIC organisés à l’étranger plutôt qu’ex nihilo(30 % des inscrits ?) ; alternativement on pourrait fixer une limite en nombre de oui par rapport au nombre de voix obtenues par le président ou la majorité aux dernières élections, avec les mêmes remarques que plus haut.

Aucun délai minimal n’est prévu entre l’acceptation du RIC et le référendum lui-même, alors que le temps est essentiel pour une information et un débat public de qualité. Une période minimale de neuf à douze mois nous paraît nécessaire pour l’ensemble de la procédure.

Débat public

Enfin la proposition ne dit rien sur l’organisation du débat public entre citoyens, hors l’inclusion de l’avis de quelques pages de l’Assemblée citoyenne dans le matériel électoral. C’est le rôle de la presse – fondamental en démocratie – de mettre en scène les débats politiques, en diffusant et confrontant les avis et propositions des citoyens. Or la presse actuelle ne le fait pas comme l’a montré son extraordinaire parti pris lors du référendum de 2005. La réalité est l’expropriation habituelle des principaux moyens d’information, de réflexion et de discussion par les maîtres du pouvoir liés aux patrons des grands moyens d’information, ce qui amène logiquement à remettre en cause la propriété des médias.

Les Gilets jaunes de Montpellier10 [12] proposent ainsi la création d’un organe d’information indépendant, contrôlé par une commission composée de citoyens tirés au sort et chargée de veiller sur l’information impartiale et indépendante du peuple français en matière de RIC. Ils prévoient aussi la création d’une chaîne de télévision publique dédiée aux RIC, à financement strictement public et l’obligation pour les autres chaînes audiovisuelles d’organiser des débats et de présenter les avis en présence en respectant l’égalité de traitement entre les différentes positions.

Dans cette même direction mais au-delà des RIC, Acrimed propose un ensemble de mesures11 [13] pour que le droit d’informer et le droit d’être informé ne soient pas bafoués : doter obligatoirement les rédactions du droit d’élire et de révoquer les directions, rendre les règles déontologiques opposables aux patrons des médias, créer un Conseil de déontologie de la presse sans pouvoir de sanction, développer un système médiatique réellement au service des citoyens et donc financé collectivement par les citoyens avec un Conseil national des médias qui formerait un quatrième pouvoir constitutionnel, etc.

 

Plus généralement, pourquoi le processus de démocratie active qu’illustre le RIC ne devrait-il pas être intégré dans la préparation des lois par le Parlement par le biais de conventions de citoyens ? Une loi préparée ne devrait-elle pas être présentée dès son dépôt à toute la population ? Il serait ainsi possible de la discuter, de la modifier. Rien ne devrait interdire que, chaque fois que le sujet le réclame, des commissions, sous forme d’assemblées citoyennes ou de conventions de citoyens, soient chargées, avec l’aide de moyens et de professionnels de l’information, de présenter au public un ensemble de données, réflexions et analyses sur des points en débat12 [14].

Notre analyse nous amène à considérer que la proposition de Terra Nova vaut surtout pour sa description précise de la procédure de RIC, du début à la fin. Elle pêche néanmoins par de nombreuses faiblesses dont la correction ferait du RIC délibératif proposé une réelle avancée démocratique.

Annexe 1 : caractéristiques du RIC délibératif [15]

Annexe 2 : les risques identifiés du RIC délibératif [16]

 


Pour aller plus loin : Comprendre les Conventions de Citoyens [17]

  1. Ces auteurs sont pour sept d’entre eux universitaires ou directeurs de recherche en science politique, droit, aide à la décision, et pour deux d’entre eux dirigeants d’associations. [18]
  2. Loïc Blondiaux, Marie-Anne Cohendet, Marine Fleury, Bastien François, Jérôme Lang, Jean-François Laslier, Thierry Pech, Quentin Sauzay, Frédéric Sawicki, 2019. Le référendum d’initiative citoyenne délibératif. Terra Nova, 19 fév., 38 p. http://tnova.fr/notes/le-referendum-d-initiative-citoyenne-deliberatif [19]
  3. Yves Sintomer, 2019. Entretien. Le 1, 27 fév. 2019. [20]
  4. Yves Sintomer, 2018. Fonder une République à la hauteur des défis du XXIesiècle. Le Monde, 19 déc. https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/18/gilets-jaunes-fonder-une-republique-a-la-hauteur-des-defis-du-xxie-siecle_5399064_3232.html [21]
  5. Thomas Coutrot et Yves Sintomer, 2019. Pour un RIC vraiment citoyen. Blog Mediapart, 8 janv. https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/080119/pour-un-ric-vraiment-citoyen [22]
  6. Commission démocratie d’Attacet association Sciences citoyennes, 2019. Le référendum d’initiative citoyenne : les citoyens non pas manipulés mais informés décident. 7 janv., 4 p. https://blogs.attac.org/commission-democratie/textes-de-la-commission-democratie/article/le-referendum-d-initiative-citoyenne-les-citoyens-non-pas-manipules-mais et https://blogs.mediapart.fr/jacques-testart/blog/100119/le-ric-des-citoyens-non-pas-manipules-mais-informes-decident [23]
  7. Sciences Citoyennes, 2007. Projet de loi concernant les conventions de citoyens. 8 nov. 16 p. https://sciencescitoyennes.org/projet-de-loi-concernant-les-conventions-de-citoyens/ [24]
  8. Sciences Citoyennes, 2010. Quelques différences entre Débat Public (DP) et Conventions de Citoyens (CdC) – Pour mieux appréhender les spécificités des CdC. 8 avril. https://sciencescitoyennes.org/quelques-differences-entre-debat-public-dp-et-conventions-de-citoyens-cdc-pour-mieux-apprehender-les-specificites-des-cdc/ [25]
  9. Il existe une recherche pédagogique qui essaie de développer les capacités d’expression et d’échange dans des contextes variables et notamment au sein de groupes assez importants, mais cela sera-t-il suffisant pour éviter l’apparition d’inégalités entre les participants ? Dans notre cas, la présence d’un modérateur professionnel (psychosociologue) est indispensable. [26]
  10. Proposition de référendum d’initiative citoyenne de Montpellier. Gilets jaunes, janv. 2019. https://lacarmagnole.fr/wp-content/uploads/2019/01/Proposition_de_RIC_Montpellier.pdf [27]
  11. www.acrimed.org/-Transformer-lesmedias-Nos-propositions- Ces propositions sont synthétisées pour l’essentiel dans Robert Joumard, 2019. Pour une presse au service des citoyens. 21 janv., 5 p. https://local.attac.org/rhone/spip.php?article2137 [28]
  12. Une Chambre des citoyens (remplaçant le Sénat) tirée au sort pourrait ainsi organiser des conventions de citoyens sur tous les sujets controversés et en défendrait les avis devant les députés, les contradictions persistantes entre les deux chambres étant réglées par référendum. [29]