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Technoscience et démocratie – Procédures participatives et nanotechnologies

Le développement des nanotechnologies depuis 10 ans a été réalisé hors de toute prise en compte de l’avis de la population. Des manifestations diverses (débats publics, expositions savantes, jurys  de citoyens, débats parlementaires, communications médiatiques…) ont révélé de fortes réticences mais celles-ci n’ont conduit à aucune mesure effective telle que seraient un moratoire sur les nanomatériaux et la  démonstration de leur innocuité  en préalable à toute dissémination. Comme dans d’autres secteurs technoscientifiques présentés comme susceptibles, et même souvent seuls capables, d’améliorer le sort de l’humanité, ce sont surtout des intérêts économiques qui imposent le développement de l’innovation. Cette situation fait courir des risques majeurs à l’intégrité de l’espèce et ne peut être résolue que par la reconnaissance du droit et de la capacité des citoyens à décider de leur avenir. Pour cela des procédures de gestion démocratique de la technoscience doivent être définies et adoptées sans réticences.

Mot(s)-clé(s) : démocratie, innovation, recherche, choix technologiques

Public(s) visé(s) : tous

Définition des concepts et notions utilisés :

• Participation : en démocratie la participation ne peut pas se limiter à une figuration comme quand on exprime son point de vue. Elle exige que ce point de vue résulte d’informations adéquates, ne dépende pas d’intérêts particuliers et, à ces conditions,  soit pris en compte par les élus pour établir la loi commune.

• Expertise : depuis que la recherche a pour but annoncé de produire des innovations commercialisables, les experts ( les scientifiques qui sont parmi les plus performants dans leur spécialité) dépendent de plus en plus d’intérêts économiques puisque c’est leur collaboration avec ces intérêts qui a permis leur notoriété. Aussi une expertise de qualité (honnête, objective, conforme au bien public) devrait confronter divers experts, d’avis et de compétences variés , à des citoyens dénués de conflit d’intérêt afin que ceux-ci, bien éclairés,  contribuent effectivement  aux choix politiques.

• Progrès : longtemps confondu avec le progrès de l’humanité, le progrès technique montre aujourd’hui qu’il n’œuvre pas toujours pour le bien de l’espèce et de sa planète. C’est pourquoi il peut être illusoire et dangereux de proposer la réparation par de nouveaux « progrès » des dégâts causés par des « progrès » antérieurs…Les  progrès, pour être reconnus comme tels,  doivent être soumis au choix des citoyens et, à chaque fois que  possible, ce choix doit intervenir en amont même de la recherche.

• Technoscience : quand l’intrication entre la recherche et ses applications devient très étroite, c’est le projet d’innover (breveter, fabriquer, vendre) qui devient le moteur des laboratoires. La recherche est alors une activité finalisée vers l’innovation dans laquelle l’investissement pour la connaissance ne vaut qu’en ce qu’il favorise l’application.

Contexte – État des lieux : Depuis plus de 10 ans, la France, comme tous les pays industrialisés, a fait le choix technologique des « nanos ».. Comme on l’avait déjà vécu dans d ‘autres secteurs de la technoscience (nucléaire, PGM…) l’avis des citoyens a été négligé au moment des choix. Ceux-ci ont conduit à des investissements très importants et des engagements régionaux : Grenoble était annoncée comme « capitale nanos » depuis 1998 avec la création du pôle d’innovation Minatec par le CEA, et 5 centres régionaux de compétence en nanotechnologies existaient en 2005.

Pourtant, le gouvernement ne pouvait pas ignorer des questions posées par la société, souvent à partir des critiques de petites associations,  à l’égard de cette technologie. Par ailleurs plusieurs rapports, dont celui de la Royal Society[i] britannique ont  souligné l’insuffisance des recherches sur les risques des nanoproduits pour la santé ou l’environnement. Reconnaissant ces risques, l’Afsset demandait en octobre 2008 que le principe de précaution soit appliqué, avec l’utilisation d’équipements ad hoc  comme pour les matières dangereuses, dans les industries et laboratoires fabriquant des nanomatériaux. Mais en aval de la fabrication, et alors que des produits nanos sont déjà commercialisés, il s’avère qu’aucune technique ne permet d’en assurer la traçabilité,  une carence qui justifierait à elle seule que des recherches soient menées avant toute dissémination de cette technologie.

Plusieurs manifestations ont montré depuis longtemps l’inquiétude du public, dont les cahiers d’acteurs publiés lors de l’exposition en 2006 à la Cité des sciences et de l’industrie[ii] puis ceux publiés à l’occasion du débat public national[iii] de 2009. Mais la domination de quelques gros acteurs sur la recherche (publique et privée) et leur souci de compétition internationale s’accorde mal avec la prise en compte des souhaits de la population et même avec la sécurité et le bien-être des humains. Comme l’écrivait la Fondation sciences citoyennes, « devrait-on laisser une application technologique, portée par des intérêts privés qui cherchent à la faire passer pour la seule source de progrès, s’imposer au point de changer fondamentalement la vie de la société ? N’est-ce pas à la société de faire des choix réfléchis sur son évolution […] ? »

Exposé de la problématique : Le souci annoncé de prendre en compte après coup l’avis des citoyens pose deux problèmes : Est-il éventuellement possible d’abandonner ces projets alors qu’ils sont déjà bien implantés ? Les procédures utilisées pour connaître l’avis des citoyens sont-elles pertinentes ?

Au moment même où le gouvernement organisait  la « procédure participative » du débat public de 2009, il annonçait des moyens financiers doublés pour développer la recherche sur les nanos[iv] au nom de la compétitivité économique et  des avantages escomptés pour l’industrie, la santé, l’agriculture, etc… Dans ce contexte, on peut douter de la volonté des acteurs « pro-nanos » à remettre en cause leur projet si les citoyens interrogés devaient s’y montrés défavorables… Et on comprend que certains acteurs locaux (élus,  syndicats, PME…) résistent aux critiques qui menaceraient des intérêts déjà engagés. Ainsi, l’association entre Minatec et plusieurs groupes industriels pour les nanotechnologies des circuits intégrés (Crolles 2) inaugurée en 2003 s’avérant défaillante, la CGT écrivait le 2 février 2007 que «  Ce qui se passe à Grenoble peut arriver dans tous les pôles de compétitivité dont la gouvernance est sous l’influence de grands groupes internationaux. Ceci est d’autant plus grave que la création de ces pôles va accentuer petit à petit, dans les régions, le regroupement et la spécialisation autour de quelques domaines industriels ». Cette inquiétude tardive ne remet pas en cause un développement identique qui dépendrait d’acteurs nationaux…

Mais la forme même  des « procédures participatives » pose question. La plus vaste s’est déroulée en  2009 avec un « débat public » national, tel que défini dans la loi  depuis 15 ans  et organisé par la Commission nationale du débat public.

Du Débat public à la Conférence de citoyens : S’il autorise en théorie la participation de tous les citoyens, le débat public ne  concerne en réalité qu’un faible nombre de personnes (beaucoup moins de 1 sur 10000) et ne permet pas d’évaluer l’avis de la population puisque ce sont des minorités auto-proclamées,  parfois porteuses d’intérêts particuliers, qui s’y expriment, et que le poids relatif des divers avis exprimés n’est pas quantifiable. De plus, le débat public « nanos »a été torpillé par des activistes, si bien que les seules procédures participatives réalisées en France sur les nanos furent locales. Parmi celles-ci la conférence de citoyens organisée par la Région Ile de France en 2006. Cette procédure présente l’avantage de regrouper sur une période longue (plusieurs week-ends et conférence publique étalés sur plusieurs mois) des citoyens tirés au sort et dénués de conflit d’intérêt en rapport avec le sujet. Les informations qui leur sont proposées doivent être complètes et contradictoires (les différents points de vue d’experts sont exposés) et aller au delà du seul savoir scientifique pour prendre en compte les divers incidences de la technoscience sur l’espèce humaine et la planète. Pour remplir cette fonction,  les conférences de citoyens (CdC) devraient répondre à un protocole strictement défini afin d’assurer l’intégrité du jury, l’objectivité et l’exhaustivité de sa formation comme  sa réflexion collective et hors de toute pression jusqu’à la production autonome de l’avis.

De la Conférence à la Convention de citoyens : Un bilan mondial des conférences de citoyens depuis 20 ans montre que, malgré des avancées importantes,  les procédures ne sont pas sérieusement définies. Les variantes observées à tous les stades retirent beaucoup à la crédibilité des CdC car on peut craindre que la mauvaise gouvernance d’une procédure portant sur un effectif aussi réduit de personnes (une quinzaine) conduise à des résultats sans signification. Or, la réduction de la population à un effectif aussi modeste est la condition pour assurer de bonnes conditions pratiques, limiter les conflits personnels et  assurer des échanges fructueux entre ces jurés. C’est pour rompre avec cette confusion qu’un nouveau nom a été proposé pour une procédure strictement définie : la Convention de citoyens. Dans le projet de loi proposé par la FSC  les  conditions  de déroulement comprennent aussi bien la diversité et la « neutralité » du jury que la qualité de l’information qui lui est proposée et le poids relatif (durée d’intervention des experts, textes fournis) donné à chaque proposition connue dans la controverse. Ceci peut être obtenu grâce à l’instauration d’un comité de pilotage comprenant les acteurs connus comme ayant des avis divergents, ce comité étant chargé d’établir, par consensus, le programme de la formation, mais sans  jamais intervenir auprès du jury.

 Acteur(s) impliqué(s) et nature de son (leur) implication :

• Institutions politiques : gouvernement, élus locaux…

• Autorités organisées : ministères (industrie, santé, environnement…) , laboratoires de recherche et innovation (CEA, universités,…), experts français et étrangers, professionnels produisant ou utilisant des nanomatériaux,

• Représentants des populations : associations, syndicats, particuliers…

• Médias

Enjeux :

Santé publique, qualité de l’environnement, modes de vie, économie…

Mais aussi démocratisation des choix technoscientifiques, éthique de la connaissance .

Un enjeu fondamental pour la démocratie est la démonstration de la capacité de citoyens « ordinaires » à opérer des choix pertinents, y compris dans des domaines jusqu’ici réservés aux « experts ». Cette capacité a été souvent vérifiée à l’occasion de nombreuses CdC dans le monde. Elle exige des informations complètes et contradictoires, des conditions favorables à la réflexion et l’élaboration (délais suffisants, échanges, autonomie) mais aussi le volontariat des jurés  qui doivent être assurés que leurs propositions ne seront pas méprisées.

Recommandations :

Conscients de l’insuffisance démocratique pour le développement des nanotechnologies, certains préconisent « l’instauration de débats publics permanents et d’informations complètes des élus, bien en amont des décisions, pour dépasser le stade de l’acceptation par la population » (déclaration des Verts). Cette formule ne considère pas la nécessaire expression d’avis par la population éclairée, avis que les élus devraient prendre en compte. Ainsi, la décision des élus devrait dépendre de structures permanente (Haute Autorité de l’expertise)   et ponctuelles (Conventions de citoyens)

En attendant de véritables décisions démocratiques, la précaution exige d’instaurer un moratoire sur la recherche appliquée et sur la commercialisation des nanoproduits.

Références utilisées et non citées dans les notes :

  • Note N°3 de la FSC en 2006 :
  • Cahier d’acteur de la FSC pour le débat public de 2009 :
  • B. Bensaude-Vincent : Les vertiges de la technoscience, La Découverte 2009
  • J Testart : Le vélo, le mur et le citoyen, Belin, 2007
  • Association pour une fondation des sciences citoyennes (FSC) :
  • https://sciencescitoyennes.org/spip.php?rubrique124
  • Vivagora, PMO, CNDP, Région IdF, Conservatoire Arts et métiers
  • http://participation-et-democratie.fr/



[i] Voir le rapport conjoint de la Royal Society et de la Royal Academy of Engineering et intitulé Nanoscience and nanotechnologies : opportunuities and uncertainties publié en 2004.

[ii] http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expositions/nanotechnologies/cahiers-acteurs.htm

[iii] Voir http://www.debatpublic-nano.org/ [1]

[iv] Nanotechnologies : Sarkozy annonce le doublement des crédits de recherche, AFP – 9 déc. 2008 ; Voir aussi Stratégie nationale de recherche et d’innovation (trois priorités de recherche : La santé, le bien-être, l’alimentation et les biotechnologies ; L’urgence environnementale et les écotechnologies ; L’information, la communication et les nanotechnologies), annoncée en juillet 2009 par Valérie Pécresse, ministre de la recherche.