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Science et démocratie : Une perspective africaine

Les sciences et les technologies ont apporté un bien être considérable aux citoyens des pays développés. C’est loin d’être le cas en Afrique qui occupe, dans le domaine de la production scientifique, une position marginale. La contribution de l’Afrique dans les journaux scientifiques indexés est dérisoire et tend à baisser. Les deux premiers pays (Afrique du Sud et Égypte) concentrent environ la moitié de la production. Ceci n’est pas étonnant quand on sait que l’Afrique compte moins d’1 chercheur/ingénieur pour 10 000 habitants alors que même les pays pauvres d’Asie du Sud-Est comptent entre 2 et 5 ingénieurs pour 10 000 habitants. La science est donc monopolisée par une minorité de pays développés. Il faut la démocratiser et permettre à l’Afrique d’y contribuer pleinement. Mais comment ?

Les sciences et les technologies ont apporté un bien être considérable aux citoyens des pays développés.  C’est loin d’être le cas en Afrique qui occupe, dans le domaine de la production scientifique, une position marginale. La contribution de l’Afrique dans les journaux scientifiques indexés est dérisoire et tend à baisser. Les deux premiers pays (Afrique du Sud et Égypte) concentrent environ la moitié de la production. Ceci n’est pas étonnant quand on sait que l’Afrique compte moins d’1 chercheur/ingénieur pour 10 000 habitants alors que même les pays pauvres d’Asie du Sud-Est comptent entre 2 et 5 ingénieurs pour 10 000 habitants. La science est donc monopolisée par une minorité de pays développés. Il faut la démocratiser et permettre à l’Afrique d’y contribuer pleinement.  Mais comment ?

D’abord, de quelle science l’Afrique a-t-elle besoin?  Il existe plusieurs types de recherche mais  pour les besoins de ce propos je me limiterai à quelques-uns.

Atelier du CRDI pendant le 2e FMSD à Dakar [1]

Atelier du CRDI pendant le 2e FMSD à Dakar

L’Afrique est peu présente dans la recherche visant la création de nouvelles connaissances de pointe ou comme on dit souvent de la recherche pure dont la finalité immédiate est la recherche de la vérité; comprendre le monde sans nécessairement viser à le transformer, et dont la curiosité constitue le moteur principal. Pour être réaliste cette recherche-là n’est pas notre priorité pour le moment.

Le deuxième type de recherche qui me vient à l’esprit est celle qui est dangereuse  pour la sécurité mondiale. Celle-ci est menée par des entreprises publiques ou privées dans les pays développés mais également par des puissances émergentes comme la Chine et l’Inde. Il s’agit notamment des recherches portant sur les armes ou les recherches technologiques produisant des déchets polluants. L’Afrique est le seul continent qui n’abrite pas ce genre de recherche alors qu’elle en  subit largement les effets néfastes! Peut-on dès lors accepter de vivre dans un monde où une petite minorité de pays et de gens pourrait nous faire disparaitre de la planète s’ils le décident?  Évidemment non. Pouvons-nous compter sur leur sagesse ou sur la force de leur système de gouvernement pour nous préserver de ces effets ? Malheureusement non plus car l’histoire ne nous rassure pas. Les rapports entre Occident et Afrique à travers les âges, marqués par l’esclavage, la colonisation, la néo-colonisation nous incitent à la plus grande méfiance. Et pour les autres pays ayant maîtrisé récemment ce genre de recherches – ou qui cherchent obstinément à les développer – rien ne nous autorise à croire que leur appétit croissant pour les ressources stratégiques dont l’Afrique regorge ne pourrait pas les emmener un jour à des aventures impérialistes? Cette « science dangereuse », n’est donc pas non plus, selon nous,  une priorité pour l’Afrique, mais il convient d’évaluer avec lucidité les risques de ne pas conduire ce type de recherche. Et travailler pour  la solution idéale qui serait  l’abandon de ce type de recherche partout sur la planète.

Par contre l’Afrique nous semble avoir plus particulièrement besoin de trois types de recherche :

La recherche stratégique, dont les données ne sont pas nécessairement utilisables aujourd’hui mais pourraient l’être plus tard, dans un horizon d’une ou deux décennies.  Actuellement, cette  recherche est menée dans le cadre des collaborations internationales. Cette collaboration est utile et souvent incontournable. On pourrait citer par exemple la recherche sur les vaccins contre le paludisme/malaria ou sur le VIH/ SIDA.  Mais dans d’autre cas, comme le souligne justement Gaillard et Kane (2009), bien que les coopérations internationales constituent, en partie, la force d’un système national de recherche, il y a une limite au-delà de laquelle elles peuvent devenir une menace ou au moins une faiblesse quand l’influence des chercheurs étrangers est trop  prédominante, notamment pour ce qui concerne la définition des thèmes de recherche. Si cette collaboration est subie et imposée par la nécessité pour les chercheurs africains de  trouver des moyens pour faire leur métier et acquérir une reconnaissance internationale, il s’agirait d’une sorte de perpétuation de la domination coloniale. Utiliser les chercheurs du Sud pour résoudre des problèmes du Nord, sans contrepartie en salaire et sans compensations pour les sociétés africaines qui ont payé chèrement pour la formation des chercheurs africains serait un autre type d’exploitation.  Ce qui est tout le contraire de la démocratie.

En plus de l’imposition des thèmes de recherche, la recherche peut être confrontée à des problèmes d’éthique. A titre d’exemple, plusieurs scandales ont été  rapportés dans la recherche médicale au cours de la dernière décennie. Ainsi, Lurie et Wolfe (1997) dénoncent les essais menés sur la réduction de la transmission mère-enfant du VIH. Seize d’entre eux ont  été jugés non conformes à l’éthique à cause du recours au placebo dans le groupe contrôle alors qu’un traitement efficace était connu et appliqué dans les pays du Nord. Les principes de non malfaisance et d’autonomie des participants de recherche ont été bafoués car les patients n’avaient pas bien saisi le sens du terme placebo pour des raisons de traduction.

Plus récemment, dans le cas de l’essai clinique sur le trovafloxacine (Trovan Floxacin), un antibiotique contre la méningite testé sur 233 enfants nigérians (Jones, 2007), il aurait  été démontré que le projet comportait des manquements aux normes éthiques internationalement reconnues notamment de par l’absence de consentement des participants  et de prise en charge immédiate et à long terme des patientes infectées au cours des essais.

Dans tous ces cas, des Africains chercheurs ou décideurs sont impliqués et partagent la responsabilité avec les chercheurs du Nord et les commanditaires des recherches. Dans ces cas malheureux, l’inégalité de traitement entre les habitants des pays du Nord et ceux du Sud est un manquement patent à la démocratie. Voici un exemple concret d’une question capitale où la contribution du Mouvement social mondial pourrait faire entendre la voix des plus faibles et contribuer à l’avènement de la démocratie mondiale.

Tout aussi importante à nos yeux est la recherche orientée vers la résolution des multiples problèmes auxquelles les sociétés africaines font face sur le plan matériel (la faim, la maladie, l’insalubrité, le manque d’énergie, le logement) et sur le plan immatériel (la dignité, la liberté, la sécurité, la justice, l’équité hommes/femmes…). A l’évidence c’est de cette recherche dont l’Afrique a besoin en priorité. La solution de ces problèmes serait une contribution majeure à l’avènement de la démocratie en Afrique. Et comme la science du Nord ne s’intéresse pas à ces questions, il faut donc une recherche endogène produite en Afrique. Malheureusement les responsables politiques africains investissent très peu dans la recherche: 0,3 % des dépenses mondiales de Recherche-développement. Que peut faire la société civile mondiale pour les pousser à changer d’attitude et drainer un volume important d’aide dans ce secteur?

Il nous faut enfin mentionner la recherche commanditée ou directement utilisable. Il s’agit de la recherche qui est  directement commandée par les décideurs politiques, les collectivités locales, les entreprises, les organisations de la société civile pour éclairer la prise de décision et dont l’horizon est le court terme. Une enquête scientifiquement menée sur la perception des populations ou de certains groupes sociaux sur certaines questions de développement en constitue un exemple type. Judicieusement utilisés, les résultats de ce type de recherche peuvent  stimuler la démocratie en faisant savoir par exemple le degré de satisfaction des populations par rapport aux politiques publiques ou aux programmes de développement. Ils peuvent également aider à identifier des voies alternatives non envisagées par les décideurs ou les planificateurs.  Dans le sens inverse, ces résultats pourraient servir à justifier des décisions politiques  contestables, des intérêts particuliers  ou des idéologies.

Pour affirmer leur caractère scientifique, les différents types de recherches évoqués plus haut doivent obéir aux mêmes règles: partir des hypothèses ou des questions de recherche, suivre une méthodologie rigoureuse et non biaisée, recueillir des données objectives, les analyser et les interpréter sans tenir compte des croyances personnelles et des idéologies, des intérêts, des sentiments , de l’appartenance à une religion, un clan, un pays. Ces recherches doivent aussi être absoutes de toute influence et de toutes pressions externes exercées par la famille, l’environnement social, l’argent,  les syndicats, la politique. Les résultats doivent être explicites, vérifiables et répétables et respecter des impératifs d’éthique.

En Afrique, de plus en plus de chercheurs et d’acteurs des sociétés civiles font des efforts pour aligner les thèmes de recherche sur l’analyse de la demande sociale, économique et politique. Dans certains domaines les chercheurs sont même allés plus loin en impliquant les utilisateurs potentiels dans la définition des priorités, la conduite et l’évaluation  par la promotion des méthodes de recherche participatives. Bien sûr, tout n’est pas parfait et les discussions sur les modalités de l’implication des parties prenantes dans les protocoles de recherche et sur l’utilisation massive des résultats de la recherche continuent. Le dialogue entre chercheurs et la société civile également. De nombreux problèmes subsistent:

Dans beaucoup de cas les organisations de la société civile africaine ont des difficultés réelles à comprendre et à s’approprier la démarche scientifique. Souvent, les animateurs de ces organisations n’ont pas une formation ou une culture scientifique suffisante pour comprendre et utiliser les résultats de recherche pour bien illustrer leurs idées ou réfuter les idées des autres. Cette situation a été observée lors des débats sur la question de l’utilisation des biotechnologies en Afrique notamment  au Sénégal, au Burkina, au Kenya. Les animateurs des ONG avaient toutes les peines du monde à défendre leurs idées face aux scientifiques pro- OGM car leur formation de base n’était pas suffisante et leur information  lacunaire.  Même un juge neutre et impartial, aurait tranché en faveur des pro-OGM. Si les organisations de la société civile africaine veulent contribuer à rendre la science accessible aux citoyens, il faut dès lors qu’elles commencent à se donner les moyens de renforcer le niveau de formation technique de leurs animateurs ou alors recruter des chercheurs prêts à les aider à défendre leurs causes. Cette faiblesse de culture scientifique n’est pas propre aux ONG et à la société civile. Elle est commune à la majorité des citoyens. Des efforts sont donc à faire pour informer correctement les citoyens des nouvelles connaissances acquises et de leurs applications. Ceci implique de veiller, dans les programmes d’enseignement supérieur,  à  former les futurs animateurs des organisations de la société civile en renforçant les bases de la  pensée critique et du raisonnement hypothético-déductif, les capacités d’analyse  et d’interprétation des données et des informations.

Lors de ces débats, j’ai observé que les organisations de la société civile africaine tombaient dans les mêmes travers que les hommes politiques et leurs supporters ou les communicateurs chargés du marketing politique ou économique et autres lobbyistes. Tous ces utilisateurs des résultats ont tendance à leur faire dire plus que ce que le scientifique voulait dire, opérer des généralisations abusives, sans rappeler le contexte, la portée ou les limites. Dans ce cas, le danger est double: celui d’abuser le citoyen (lecteur, auditeur, téléspectateur) et celui de voir des  groupes opposés à ces idées s’en emparer pour les dénigrer, les manipuler et même mettre en doute l’honnêteté ou la crédibilité du scientifique qui les a produit.  On retrouve également  chez les politiques et chez les organisations de la société civile africaine, la tendance à ne retenir que les résultats qui confortent leurs opinions et d’écarter systématiquement ou  minimiser ceux qui s’en éloignent où les contredisent.  Cette attitude est caractéristique des « militants » aux convictions fortes et arrêtées.

L’habitude prise de réfléchir en « pro » et «  anti » et de ne pas explorer la diversité. Le titre de ce Forum mondial en est un exemple. Un autre monde est possible ! Il aurait fallu dire « d’autres mondes sont possibles ».  En effet s’il y a une idée fondamentale véhiculée par le Forum Social Mondial est celle de diversité. La science peut aider à comprendre la diversité du monde, diversité biologique, diversité des sociétés, diversité des interactions environnement- sociétés. C’est cette diversité qui est menacée par le modèle unique du libéralisme mondial qui tend à s’imposer partout et à imposer des solutions standardisées. Mais, à ce modèle faut-il opposer un  contre-modèle unique ou faut-il penser à plusieurs modèles possibles. Refuser la confrontation perpétuelle entre le « pour et le contre », et penser à construire des modèles plus diversifiés, ne serait-il pas de faire d’une pierre deux coups : renforcer la résilience face aux crises et en même temps construire un monde plus harmonieux, plus convivial et plus pacifique.

J’espère,  avoir  montré  que  la promotion de la science et l’utilisation massive des résultats d’une  recherche endogène, adaptée aux priorités locales sont une condition nécessaire à l’avènement de la démocratie réelle en Afrique.

Bien que j’aie discuté du thème de mon intervention  avec des amis et des collègues, je suis  le seul responsable des faits rapportés et des jugements émis. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent en rien le Centre de Recherches pour le Développement International, l’institution qui m’emploie.

Références :

Gaillard J.et Kane, O., (2009), Le système national de recherche scientifique et technique au Sénégal. Rapport préparé pour l’UNESCO, Division des politiques scientifiques et du développement durable. Dakar, décembre 2009.

Jones, F., 2007. Nigeria sues Pfizer over drug trial scandal. Science and Development Network, June, 6, 2007.

Lurie P, Wolfe S. M., 1997. Unethical trials of interventions to reduce perinatal transmission of the human immunodeficiency virus in developing countries. The New England Journal of Medicine, 1997, 337:853-856.

NB. Nous vous invitons à lire le blog d’Innocent Butare (ndlr) : http://www.innocentbutare.com/ [2]