Le brevetage du vivant

Par
vendredi 28 mai 2004

Miniature

Agropolis Museum, mardi 4 mai 2004 18 heures – Fondation Sciences Citoyennes, Agropolis Museum « Savoirs partagés », Collectif « Ouvrons la recherche »

Word - 501 ko

télécharger le document au format Word —>


Delphine Marie-Vivien, Juriste « droit du vivant », CIRAD Montpellier

Bernard Teyssendier, Directeur de recherches, INRA Montpellier

Robert Ali Brac de la Perrière, consultant, BEDE Montpellier

Le brevetage du vivant pose à la recherche comme à la société des problèmes importants. C’est de plus un sujet d’actualité avec les débats actuels au sein de l’Union Européenne.

Le débat public qui est proposé le 4 mai permettra d’entendre les points de vue d’une juriste, d’un biologiste, et d’un représentant de la société civile. Ces 3 points de vue sont résumés ci-après.


Delphine Marie-Vivien :

La délivrance de brevets sur des organismes vivants supérieures comme la souris oncogène d’Harvard, amorcée dans les années 80 aux Etats Unis puis la directive communautaire sur la protection des inventions biotechnologiques de 1998 et enfin les accords sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce de l’OMC de 1995 ont fait rentrer les innovations issues des biotechnologies comme étant susceptibles de protection par le brevet. Le vivant est alors assimilé à des molécules chimiques, le brevet conférant un monopole d’exploitation limité dans le temps au regard de l’apport de l’inventeur à la société. Les prérogatives du brevet permettent donc à son propriétaire de fabriquer, de reproduire, de commercialiser l’innovation protégée et ce de manière exclusive. Dans le domaine des biotechnologies, ce droit porte non seulement sur des séquences génétiques mais également sur tout organisme vivant exprimant ces séquences.

Face à cette appropriation de la connaissance du vivant crée par l’humain a vu le jour l’appropriation du vivant naturel maintenu par l’humain. Ainsi la convention de Rio sur la biodiversité pose le principe de la souveraineté des Etats sur leurs ressources génétiques et donc le droit d’en disposer librement. En conséquence, tout accès à ces ressources génétiques requiert l’accord préalable en connaissance de cause du fournisseur et doit envisager un partage des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques avec le fournisseur. Or un avantage de l’exploitation des ressources génétiques peut justement être l’exploitation d’un brevet protégeant une innovation réalisée à partir des ressources génétiques « naturelles » ! Pour assurer la traçabilité, divers mécanismes comme la mention de l’origine géographique des ressources biologiques dans la demande de brevet ou la demande de certificat d’obtention végétale sont envisagés, mécanismes volontaires.

 

 

Bernard Teyssendier :

Les résultats des biotechnologies sont à la fois génériques – leur application requiert des programmes de R&D longues, risquées et coûteuses- et brevetables dès lors, par exemple que la fonction ou l’application d’une séquence ont été prouvées. Un corollaire de cette brevetabilité est l’enjeu de la liberté d’opérer, sésame de la valorisation. La perspective que ces technologies ont ouverte d’un nouveau domaine d’innovation a suscité un formidable investissement privé. L’industriel, désormais international, n’est plus seulement notre partenaire de valorisation et de développement, il investit en recherche de base et se pose en concurrent capable de préparer de puissants outils stratégiques : séquences d’ADN, mutants, ressources génétiques, etc. Cependant la structure de ce partenariat est très hétérogène et les utilisateurs potentiels de nos résultats de génomique sont très inégaux quant à la capacité d’en tirer profit.

Parallèlement, encouragé par les tutelles publiques, le développement des relations contractuelles entre la recherche publique et le secteur privé a pour effet une segmentation entre le monde de la libre circulation de l’information (publication académique, banques de données etc) et celui de la confidentialité et, fréquemment, de l’exclusivité d’exploitation.

C’est dans ce contexte que le citoyen et le contribuable nous demandent des comptes : à qui vont vos résultats et pour quel usage ? En termes pratiques : comment utilisons nous les moyens disponibles pour maîtriser nos partenariats et l’application de nos résultats ?

Robert Ali Brac de la Perrière :

Alors que le brevet sur le vivant est inacceptable, la recherche publique organise une stratégie de défense de « sa » propriété intellectuelle dans les biotechnologies sans vrai débat public. L’appropriation croissante du vivant est lourde de conséquences dans de nombreux domaines touchant à la santé, à l’alimentation et à l’environnement. En agriculture, les droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales permet d’interdire au paysan de semer le grain de son champ. Le brevet octroyé sur les constructions génétiques des laboratoires permet aujourd’hui aux entreprises d’OGM de poursuivre en justice les agriculteurs dont les cultures ont été contaminées par « leur » technologie. Quelques entreprises multinationales disposent d’importants portefeuilles de brevet leur donnant un monopole d’exploitation sur un nombre croissant de produits et procédés touchant au vivant, et installent progressivement un dictat sur des libertés fondamentales, comme celle de ressemer. La recherche publique, consentante ou contrainte, participe à ce phénomène. C’est un autre rôle qu’on souhaiterait lui voir jouer. En amont d’abord, en remettant en cause les choix techniques et éthiques de la protection par brevet dans le domaine du vivant.


Compte-rendu de la conférence débat à Agropolis Museum du 4 mai 2004

Savoirs partagés, Ouvrons La Recherche et Fondation sciences citoyennes

 

par Frédéric Prat, pour FSC et OLR, 14 mai 2004.

Une série de dessins humoristiques a été réalisée par Jean Marie (restaurant Latitude), dont quelques-uns sont inclus dans ce CR.

(devant une petite centaine de personnes)

M. Langlois d’Agropolis Museum nous souhaite la bienvenue et replace cette conférence dans le cadre des mercredis des savoirs partagés.

Pierre Castella présente la Fondation Sciences citoyennes, et le processus des forums publics et des groupes de travail.

André Bervillé invite les présents à s’inscrire dans les groupes de travail, notamment ceux en rapport avec le thème de cette conférence (groupes 2 et 4), et donne l’adresse du site web de la FSC : https://sciencescitoyennes.org/

Suivent trois exposés, puis le débat avec la salle.

A/ Delphine Marie-Vivien (Cirad)

B/ Bernard Teyssendier de la Serve (Inra)

C/ Robert Ali Brac de la Perrière (consultant, BEDE)

 


A/ Brevetage du vivant : points de vue croisés : État du droit

Delphine Marie-Vivien, juriste Cirad

1/ la Propriété Intellectuelle (PI)
Contrat social entre l’inventeur/obtenteur et la société

droit d ‘interdire à tout tiers l’exploitation de l’innovation en échange de la divulgation et obligation d’exploitation

limité dans le temps, dans l’espace

limité par licences obligatoires, pratiques anticoncurrentielles ; limité par autres normes juridiques (AMM, CGB,…)

La PI est protégée par : brevet, certificat obtention végétale, indication géographique, marque, droit d’auteur

 

2/ la PI sur le vivant : historique
Brevet US sur levure exempte de pathogène de L. Pasteur 1873

Plant Patent Act 1930 : protection variété d ‘œillet

1980 : Chakrabarty : bactérie modifiée dégradant hydrocarbures

1988 : souris oncogène de Harvard



Est protégeable tout ce qui est créé par l’homme

3/ Le certificat d’obtention végétale : UPOV 91

variété végétale : ensemble végétal d ‘un seul taxon botanique du rang le plus bas, défini par ses caractères résultant génotype

distinctivité, homogénéité, stabilité, nouveauté

durée : 20 ans/25 ans

privilège agriculteur (facultatif) : possibilité de conserver une partie de la récolte issues variétés protégées pour résensemencer si ne pénalise pas les intérêts légitimes de l’obtenteur

privilège semencier : accès à des fins création variétale, commercialisation si variété non essentiellement dérivée

4/ Le brevet
Nouveauté, activité inventive, application industrielle
Durée : 20 ans
Exclusion procédés essentiellement biologiques, races animales, variétés végétales, découvertes

Exemption de recherche sur l ‘objet breveté, dépendance en cas de commercialisation si reprise éléments brevetés

Dépendance entre brevets d’application/produit : ex : CCR5 récepteur membranaire puis application pour détection VIH

5/ Directive Biotech EC 98/44
Nouveauté : si matière isolée de son environnement naturel

Brevet s’étend à toute matière obtenue et matière dans laquelle est incorporée la séquence

Fonction séquences ADN doit être établie expérimentalement : fonction doit être spécifique, substantielle et crédible

Brevet peut protéger une variété végétale si faisabilité technique pas limitée à cette variété végétale

Droit de l’agriculteur de réensemencer ; Licences : COV /brevet

 

6/ ADPIC, article 27.3 b)
Possibilité exclure végétaux et animaux, procédés essentiellement biologiques de la brevetabilité
brevetabilité des micro-organismes

Variétés végétales : protection par brevet ou par système sui generis efficace, ou par combinaison des deux

dispositions à renégocier

Quel système sui-generis ?

 

7/ Convention Rio sur la Biodiversité
Signée pendant Sommet de la Terre à Rio en 1992

Négociation menée par pays à forte biodiversité (accord Merk)

Ressources génétiques placées sous la souveraineté des États

Accès aux RG selon principe du consentement préalable en connaissance de cause selon modalités convenues mutuellement

partage des avantages découlant de l ‘exploitation des RG

Obligation « Accord de Transfert de Biomatériel »

 

8/ Double appropriation
Pays industrialisés : agriculture intensive, secteur semencier industriel, firmes multinationales, start up biotech :

appropriation de la connaissance

PED, PMA : forte biodiversité, agriculture intensive et traditionnelle, savoirs traditionnels

appropriation des ressources biologiques

Quel espace pour les biens publics ?

 

9/ Espace public/privé ?
Rémunération de la recherche biotech par brevet / accès aux connaissances

rémunération populations locales / patrimoine commun de l’humanité/ utilisation durable biodiversité

Déséquilibre à corriger ?

 

10/ Stratégie des acteurs : Bonnes conduites
Prise de brevet sur séquences sans bloquage des applications ultérieures

Mta pour libre utilisation par recherche et pas DPI sur ressources biologiques

licences privilégiées pour pays du Sud

mention de l ‘origine géographique des ressources génétiques dans brevet/Cov


B/ Enjeux liés à la propriété intellectuelle dans les biotechnologies végétales.

Une stratégie d’institut de recherche public.

B. Teyssendier, Inra, Agropolis Museum, 4/05/04

1/ Le gratuit et le marchand : quels seuils, quelles régulations ?

 

Abondance,
gratuité
services et biens publics
Biens essentiels et matériels (logement, santé, transport)
Biens immatériels (éducation, relations entre les personnes)
Logiciels libres
Rareté
Efficacité
marché
Services et biens marchands

2/ Biotechnologies végétales

génomique : gènes (séquence, fonction), cartographie génétique, recherche de marqueurs moléculaires,

sélection assistée par marqueurs (recherche de caractères qualitatifs ou quantitatifs, recherche de QTL par marqueurs sur une carte génétique),

transgénèse (applications agronomiques, alimentaires, industrielles, médicales, etc.).

3/ Biotechnologies végétales : finalités

Gestion des ressources génétiques : conservation et valorisation,

Sélection de nouvelles variétés (transgéniques ou non),

Diversification des produits alimentaires, médicaux…,

Agriculture plus respectueuse de l’environnement,

Qualité des aliments.

4/ Du résultat de la recherche au marché : un coût, des risques, des incertitudes.

Coûts relatifs Recherche
1 Séquence d’ADN
Fonction putative
Fonction ou utilisation avérée
Prédéveloppement
Application ou procédé validés
Développement
10 Application industrielle effective
Commercialisation
100 Marché

5/ Le seuil actuel de brevetabilité, tel que fixé par ex par la directive 98/44/EC de l ‘UE…

Séquence d’ADN
Fonction putative
Fonction ou utilisation avérée
Application ou procédé validés
Application industrielle effective
Marché

6/ …a suscité un investissement considérable des industriels en recherche et développement

En 2003, investissement en millions de dollars (ordre de grandeur)

Biotechnologie agricole Protection des plantes
Monsanto >450 <50
Syngenta >250 >450
Dupont >250 200
Dow 100 200
BASF 100 300
Bayer 100 >600

7/ Mais le secteur des biotechnologies n’est pas concurrentiel.

Les dix premiers de l’industrie semencière en 2001 (source : Philp Mc Dougall)

Chiffre d’affaires (en M US dollars)
Pionner (dupont) 1920
Monsanto 1707
Syngenta 938
Limagrain 764
Seminis 449
Advanta 376
KWS 349
Delta and Pineland 306
sakata 231
Dow 215

8/ Breveter et publier : une stratégie pour le service public de recherche

Recherche
Propriété des résultats Séquence d’ADN
Liberté d’opérer pour le partenaire Fonction putative
Licences : Choix des partenaires de valorisation Fonction ou utilisation avérée
Maîtrise de l’usage des résultats Prédéveloppement
Application ou procédé validés
Diffusion large (non exclusivité) Développement
Application industrielle effective
rémunération Commercialisation
Marché

9/ Dépôt et entretien du brevet à l’INRA, répartition des rôles, responsabilité du chercheur, Le comité national de la propriété intellectuelle de l’INRA

 

initiative décision rédaction valorisation
Chercheur Acteur avis avis
Département scientifique (14 adjoints chargés du partenariat) Acteur avis Acteur
UCPI (8 juristes avis avis
Inra transfert (5 chargés de valorisation) avis Acteur
Cabinet spécialisé avis

10/ Evolution des demandes de brevet par l’INRA en génomique & biotechnologie végétales

Nombre de brevets
83-84 1
85-87 3
89-90 4
91-93 7
94-96 12
97-99 23
00-02 27

11/ Budget PI de l’INRA en 2001

Budget total de l’Inra en 2001 = 560 millions d’euros

Frais de PI = 870 Keuros

Redevances sur licences de brevets et savoir faire = 1894 Keuros, soit 0,34% du budget total

(dont 242 Keuros pour le seul brevet OGU : stérilité mâle du colza)


12/ Avenir d’une politique de maîtrise de la valorisation des résultats de la recherche.

Des objectifs clairs et concertés dans nos partenariats :

Débats

Avis du Comité d’éthique pour la recherche agronomique (COMEPRA)

Charte de la Propriété Intellectuelle

Charte du partenariat.

Vers une coopération entre organismes publics, français, européens …

Politique cohérente de partenariat et de PI

Gestion coordonnée des brevets


C/ Le brevet du vivant n’est pas inéluctable

Robert Ali Brac de la Perrière, consultant, BEDE

1. Des conséquences dramatiques

Les procès de Monsanto à Percy Schmeiser : l’agriculteur canadien a été condamné en 2000 à 150 000$ d’amende pour avoir ressemé et vendu sa variété de colza contaminée par la construction génétique brevetée de Monsanto

Les contrats léonins sur les variétés brevetées permettent aux firmes de poursuivre en justice les agriculteurs qui conservent les semences de leur récolte. Exemple de K. Ralph, agriculteur du Tennessee condamné en mai 2003 à 9 mois de prison et 170 000 $ d’amende.

Les ressources naturelles privatisées. Multiplication de brevets sur espèces sauvages traditionnellement utilisées : exemple de l’igname jaune d’Afrique de l’ouest utilisé pour les diabétiques, un brevet US N°5019580 pris par Sharma Pharmaceutical sur l’utilisation de la dioscorétine pour le traitement du diabète.



Moteur du développement OGM, artificialisation de la nature. Augmentation des prix. La semence de colza transgénique de Monsanto coûte environ 60€ /ha. Le coût par hectare de semence de ferme est de moins de 2€/ha.

2. Le contrôle par un oligopole

40 brevets sur le riz doré

Accroissement faramineux des brevets accordés :

Dépôt/ défense au coût exorbitant :

Maintien:10.000/100.000€ Contentieux : 50.000/1million €

Investissement R&D biotech de 5 multinationales agrochimiques : >0,3 milliard €/an

Portefeuille de brevet des 5 géants : 30% biotech végétale, 80% séquences blé , maïs..

3. Incroyable privilège donné par qui ?

Directive européenne 98/44 a été votée par le parlement européen après une bataille de 10 années. Elle n’est toujours pas retranscrite dans la législation française et fait toujours l’objet d’un débat.

Elargissement du brevet à la « matière biologique » contenant des informations génétiques « auto reproductible ou reproductible dans un système biologique. » (article 2-1 a). Donc il est clairement question de breveter le matériel héréditaire, donc l’organisme vivant et sa descendance.

 

« Une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produit à l’aide d’un procédé technique peut faire l’objet d’une invention, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel. »( Article 3 ). On voit comment n’importe quelle découverte de la nature peut prétendre à devenir une invention .

 

Comment les citoyens se sont retrouvés là ? A quelle moment ont-ils été réellement informés et associés ?

4. La recherche publique a un autre rôle à jouer

En brevetant le vivant la recherche publique légitime un système inique, inacceptable pour la société

Ses moyens de défense sont comparables à une ligne Maginot : défendre des brevets sur le vivant contre les multinationales est perdu d’avance ;

Il faut que la société civile et la recherche publique reconstruisent un rapport de force contre le brevet du vivant, la première étape serait de consolider les recommandations du rapport du député Claeys (2004).

Biblio :

– A. Claeys (2004), Les conséquences des modes d’appropriation du vivant sur les plans économique, juridique et éthique, OPECST, Assemblée nationale

- CCC-OGM, Société civile contre OGM, arguments pour ouvrir un débat public, mai 2004, Ed. Yves Michel, 318p.

- Ministère de la Recherche, 2001. Le brevet vecteur de valorisation et de veille au service de la recherche publique (voir p.39 le prix du brevet)

 


Le débat avec la salle

Bernard Teyssendier (BT) précise et complète quelques points de son exposé :

Dupont et Monsanto, qui représentent à eux deux environ 50 % du chiffre d’affaires du secteur, ont passé des accords de licence croisés : la concentration oligopolistique qui en découle ne permet pas le jeu du libre marché.

Le paradigme « un gène = une fonction » est remis en cause par l’avancée de la biologie : cela entraînera inévitablement des difficultés très importantes dans l’application du système des brevets aux résultats de la génomique et l’on peut s’attendre à ce que ce droit évolue.

Pour travailler au quotidien, il faut bien prendre le droit « tel qu’il est », même si l’on est pas d’accord avec le droit existant. Le droit, même imparfait sert d’abord à défendre le plus faible.

La recherche publique fait de la recherche  » générique « ,  » de base « , mère des futures innovations et donc des futurs brevets. Si la recherche publique avait breveté plus tôt les découvertes  » amont « , où n’avaient pas concédé l’exploitation de leurs brevets en exclusivité à des entreprises, celles-ci ne disposeraient pas des monopoles qu’elles ont actuellement.

Le coût du dépôt et entretien de brevet, et d’éventuels litiges, n’est pas le seul paramètre à prendre en compte. La diffusion des résultats de la recherche publique génère, et c’est son rôle, ne se mesure pas seulement par les retours financiers directes : elle crée de la valeur non directement mesurable et c’est son rôle. Dans ce sens, le comité d’éthique de l’INRA lui recommande de ne pas faire de la valorisation financière le seul critère de la gestion des brevets.

Cécile Lambert (Attac Montpellier) : la recherche phénoménologique (étude de phénomènes), sans descendre jusqu’au gène, produit aussi de la connaissance, mais non brevetable. Exemple sur l’observation de la ramification des végétaux.

Un participant (juriste ?) : Sur le cas de la condamnation des agriculteurs aux Etats Unis et Canada (Percy Schmeiser), suite à l’utilisation de semences brevetées. Je suppose que le délit était un « délit de contrefaçon ». Or en France, pour qu’il y ait « délit de contrefaçon », plusieurs conditions doivent être réunies, dont celle de l’acte intentionnel, ce qui ne semble pas être le cas ici : en France, ces agriculteurs n’auraient donc pas été condamnés.

Henri Feyt (Cirad) : Plusieurs points. 1. Pour breveter un gène, il faut en connaître la fonction. 2. Sur le cas Schmeiser, cet agriculteur avait sciemment sélectionné du canola résistant au Round up, car ses parcelles contenaient plus de 90% de canola RR de Monsanto. 3. Ceci dit, il faut effectivement dénoncer les brevets sur les produits et les connaissances traditionnels, mais pas sur les procédés innovants qui peuvent servir à les obtenir. 4. Il est faux que le prix des semences soit si cher. De toute façon, l’agriculteur reste libre de les acheter ou non, ils choisissent en fonction de leurs intérêts. 5. Sur le riz doré, il n’y a pas 70 brevets, il y en a 4 ou 5 multipliés par le nombre de pays où ces brevets ont été déposés.

Guy Kastler (réseau semences paysannes) : 1. Vous avez présenté le point de vue des chercheurs, c’est normal. Moi, je présente le point de vue du paysan : le COV et les brevets sont là uniquement pour éviter aux semenciers de supporter la concurrence paysanne, pour interdire la semence paysanne. Pourquoi ? Car chaque variété, pour être commercialisée, doit être inscrite au catalogue des variétés. Pour cela, elle doit répondre aux critères de distinction, homogénéité et stabilité. Les critères d’homogénéité et de stabilité répondent aux intérêts du semencier qui doit, pour rentabiliser sa variété, en avoir peu mais en grande quantité. La recherche va donc adapter les terroirs aux variétés, avec intrants et irrigation, et le semencier met sur le marché des variétés qui répondent bien à ces intrants. L’agriculteur au contraire, a besoin de nombreuses variétés qui s’adaptent aux terroirs : il lui faut des variétés population, avec des pools génétiques élargis. Il renouvelle ces pools génétiques grâce aux échanges périodiques. Mais le catalogue interdit les échanges de variétés non inscrites, même à titre gratuit. Par ailleurs, ces variétés ne sont ni stables, ni homogènes, donc non inscriptibles. De toutes façons, l’agriculteur n’a pas les moyens d’inscrire les nombreuses variétés dont il a besoin. 2. On peut aussi penser que les semenciers ont poussé sur les brevets pour pouvoir mieux contrôler à terme les semences paysannes des pays du Sud. En effet, dans les pays du Nord, ce contrôle s’effectue par l’Etat, via l’UPOV et le catalogue. Mais au Sud, où l’Etat n’a pas les moyens de ce contrôle, on laisse les variétés paysannes être contaminées par les variétés brevetées, pour mieux s’accaparer ces variétés. 3. La réglementation distingue et saucissonne les différents métiers : la conservation (c’est la convention de Rio), ou la vente (OMC, ADPIC, brevet, UPOV). Or le paysan est à la fois conservateur, semencier et producteur : mais le Droit ne le reconnaît pas et lui interdit de cumuler ces fonctions.

Citoyen lambda : ces questions ne doivent pas rester une bataille d’experts. Il est clair qu’il y a d’un côté le servie public, et de l’autre, « les voleurs », ceux qui prônent la « marchandisation ». Que peut faire le service public pour infléchir le droit ? Et que peuvent faire les citoyens ?

BT : l’Inra défend le COV contre le brevet sur les plantest. Le citoyen peut appuyer ce combat. L’Inra est opposé à la brevetabilité des plantes, qui heureusement n’existe pas en Europe..

Delphine Marie-Vivien (DMV) : effectivement, les catalogues permettent d’autoriser la commercialisation des variétés. Mais ce n’est pas du ressort du système de protection par certificats d’obtention végétale des semences. Pour éviter que les semenciers s’emparent des semences paysannes, doit-on les protéger par un COV ? ou doit-on inventer un autre système « sui generis » ? Mais comment octroyer un monopole d’utilisation sans critères bien déterminés ? Par le passé, on a manqué de vigilance sur les critères d’octroi de certains brevets : exemple, le brevet sur le gène BRCA1 va bientôt tomber, car il est prouvé qu’il était connu et utilisé avant le dépôt du brevet par Myriad Genetics. Faut-il revoir la durée des brevets à la baisse ? Oui, il y a des problèmes de coûts de brevets, car une veille juridique et technologique est nécessaire et cela coûte cher.

Robert Ali Brac de la Perrière (RB) : il faut aborder le débat de fond : comment la recherche publique peut-elle remettre en cause le brevet sur le vivant ?

BT : c’est le travail du politique. Le politique consulte les acteurs de terrain (dont l’Inra) qui qui sont là pour les informer et les conseiller.

DMV : quelle est l’alternative ? On publie tout ? alors, des brevets sont déposés derrière par des entreprises de biotec. L’académie des sciences a récemment proposé qu’on interdise les brevets sur les gènes et que seuls les brevets sur les applications concrètes de ces séquences soient déposés. Le Cirad propose des licences gratuites pour les pays du Sud.

BT : aux Etats-Unis, des universités se regroupent pour collecter l’information concernant les brevets et éventuellement mutualiser l’exploitation de leurs brevets dans le but de mieux assurer leur rôle de service public. Objectif : breveter les recherches amont, pour contrôler les brevets ou licences en aval.

Citoyen lambda : quel est le poids des financements privés dans la recherche public ?

DMV : Inra 5%, Cirad 3%.

BT : le privé propose souvent des partenariats avec le public impliquant une part de financement très faible en regard du coût complet des recherches et revendique trop souvent la propriété des résultats. . C’est comme si le public donne la voiture, et le privé ne paye que l’essence pour pouvoir être transporté où il veut. Il faut appliquer un principe simple et clair : la recherche publique doit rester propriétaire de ses résultats. Ce principe a été formulé par les tutelles ministérielles et figure dans la charte de la propriété intellectuelle de l’INRA

Pichot (Cirad) : dans beaucoup de pays d’Afrique, le paysan fait sa semence, et il n’y a pas de semenciers privés. Avec qui doit travailler le chercher ? Comment peut-il aider le paysan avec ses variétés population ?

Renée Garaud (cinéaste) : combien l’Inra dépose-t-il de brevets par an ? combien en propre ? combien en partenariat ? et avec qui ?

Pierre Castella : quelles perspectives pour que tout ne soit pas approprié ? : traité de la FAO ; patrimoine mondial de l’humanité ; libre accès aux ressources ?

BT : je n’ai pas les chiffres sur le nombre exact de brevets, mais en gros 50% des brevets sont purement Inra, et 50% obtenus en partenariat. Mais les résultats de l’Inra sont la propriété de l’Inra. Les partenariats sont variables, depuis les gros industriels (Limagrain), jusqu’aux organisations professionnelles agricoles. L’Inra pratique la co-construction de ses programmes avec ses partenaires. Il privilégie, sans exclusive, les partenaires qui ont un siège social en France et y créent des emplois.

DMV : l’observation des pratiques avec les logiciels libres (logiciels protégés par le droit d’auteur dont le propriétaire décide de licencier gratuitement l’utilisation) devrait contribuer à faire évoluer le droit des brevets sur le vivant. La pratique de la licence gratuite est porteuse d’avancées.

RB : il faut pouvoir continuer cette réflexion avec OLR/FSC, avoir d’autres sessions de travail pour avancer.

André Bervillé informe qu’une conférence sur « génomique et amélioration des plantes » aura lieu le 30 juin 2004 à Montpellier. L’inscription au groupe de travail de FSC/OLR est possible sur le site de FSC.

 

La conférence débat s’achève à 20h15.

Dessin : Jean Marie (restaurant Latitude, à Montpellier)