L’affaire Hwang Woo-suk ou les dérives de la science-spectacle

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mardi 3 janvier 2006

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Le Monde, 4 janvier 2006. Ainsi le professeur Hwang Woo-Suk est tombé. Il est presque au fond du gouffre après deux paliers de déshonneur. D’abord on a découvert qu’il a utilisé les ovules de son personnel pour réaliser des clones (on peut ici s’étonner : il eut été plus facile et discret de s’approprier certains ovules de patientes traitées par FIV… Peut-être ce biologiste n’est-il tombé que parce qu’il n’officiait pas dans un laboratoire de FIV ?). Puis on découvre que les clones n’en étaient pas. Dernière marche : pour achever le héros il reste à montrer que même le chien « Snuppy » était un clone bidon. A ce jour, et du seul point de vue technique, le Coréen magnifique n’a rien fait qui ne fut réussi par d’autres, peut-être prouvera t-on demain qu’il n’était même pas au top !

Fallait-il que le monde, et au premier chef la « communauté scientifique », ait eu besoin des exploits de Hwang Woo-Suk pour croire à ses prétentions ? Déjà sa première publication relatant la création d’embryons humains clonés (février 2004) ne pouvait convaincre que ceux qui voulaient y croire. La division (clivage) de certains oeufs non fécondés arrive couramment quand l’ovule d’un mammifère se fragmente par vieillissement. Pour reconnaître là un effet du clonage il fallait que la croyance soit plus forte que l’exigence scientifique ! La plupart des biologistes familiers du développement embryonnaire n’ont pas applaudi alors ; ils n’ont rien dit, ce qui n’est déjà pas si mal, laissant à des savants moins éclairés en embryologie le soin de s’ébaudir sur ce prétendu miracle lequel, même confirmé, n’aurait été qu’une vérification : pourquoi donc l’espèce humaine resterait-elle la seule rétive à la reproduction par clonage, réussie pour toutes les espèces testées ? La chose pourrait même être accomplie dans un laboratoire raëlien pourvu d’un biologiste compétent, mais on en exigerait alors, et avec raison, la preuve indiscutable !

Puis se sont succédées des performances toujours plus admirables et admirées, jusqu’à la production de lignées de cellules souches à partir d’embryons humains clonés. Certains journalistes ont alors imaginé que le Coréen était digne du prix Nobel. Comme si l’adaptation à l’homme d’un artifice qu’on maîtrise déjà chez l’animal était comparable à une découverte, à un progrès du savoir, plutôt qu’à la valorisation médicale d’une technologie, grâce à une audace interdite ailleurs. L’absurde assimilation du clonage thérapeutique avec le recours aux cellules souches à des fins médicales a fait le reste, certains médecins et chercheurs glorifiant les résultats proclamés à Séoul pour forcer les réticences éthiques en Europe.

Des medias et des scientifiques ont ainsi cédé à la volonté de croyance en même temps qu’au culte de l’efficace, cela montre ce qu’il reste de la science quand la technoscience a presque tout mangé. Plutôt que s’alarmer du tort que Hwang Woo-Suk a pu faire à la Science, mieux vaudrait s’interroger sur ce que le mercantilisme libéral a fait de Hwang Woo-Suk et comment il galvaude partout l’idéal de recherche. Bien sûr, tous les chercheurs ne truquent pas leurs résultats (mais des enquêtes anonymisées montrent qu’au moins un sur trois a cédé à la tentation …), il reste que les chercheurs ne sont pas des demi-dieux mais des acteurs du progrès, forcément ambitieux, que le système pousse très fort à la performance et à la compétition : les moyens financiers accordés aux laboratoires sont à la mesure de leurs succès, et la formule « publier ou périr » n’a jamais été aussi pertinente.

Est-ce un hasard si l’affaire survient dans un pays au développement économique soudain et agressif, et où le concept d’« Etat providence » n’évoque rien ? Sans excuser la grave faute de Hwang Woo-Suk, cette lamentable histoire pourrait n’être que la partie spectaculairement émergée de l’iceberg d’une misère scientifique croissante. En ce sens, la réforme en cours de la recherche française, en faisant la part belle aux innovations compétitives et en soumettant les laboratoires aux préoccupations industrielles, nous réserve bien des surprises infamantes. Alors, comme ailleurs, on voit poindre la solution policière. Déjà les organismes de recherche se dotent d’un comité anti-fraude et imposent à leurs chercheurs un cahier de laboratoire normalisé, infalsifiable comme un livre de compte. A quand une caméra de surveillance au dessus de chaque paillasse ?

Jacques Testart, biologiste de la procréation, INSERM