La recherche à reculons

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lundi 2 février 2009

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Le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 22 janvier à l’occasion du lancement de « la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation » est un modèle du genre. Les chiffres fantaisistes et les assauts d’idéologie qu’il contient nous confirment bien que la réflexion n’a pas encore commencé, ce qui n’empêche pas son auteur de mobiliser tout le champ lexical du mouvement, au risque de multiplier les contradictions. Il y en a une qui nous occupe particulièrement : elle concerne la mise en démocratie de la politique scientifique que nous avions déjà évoquée ici (Libération du 10 septembre 2008).

Dans son allocution, notre président justifie d’abord les « réformes » déjà mises en œuvre, puis affirme qu’il est temps d’agir puisque le système de recherche actuel repose sur des fondations édifiées dans l’après-guerre, « complétées à la fin des années 60, et dont les archaïsmes et les rigidités ont été soigneusement figés au début des années 80 ». Ce sont donc les réalisations gaullistes comme socialistes
qui sont visées. Parmi les premières, la plus emblématique est sans doute la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), dont le Comité consultatif de la recherche scientifique et technique (CCRST, aussi appelé « comité des douze sages ») était le moteur. Composé essentiellement de scientifiques jeunes et peu soumis aux logiques académiques ou institutionnelles, il était chargé de faire des propositions pour la réorganisation et le pilotage de la
recherche française. C’était en 1961.

Il est donc pour le moins surprenant de voir annoncée comme une radicale innovation la formation d’un comité de pilotage de dix-huit personnes (présidente comprise), chargé de mener la réflexion sus-citée. Quand enfin on apprend que ce mode opératoire doit permettre de faire renaître un débat sur la politique scientifique de la France, la perplexité fait place à l’indignation. Car comment
croire qu’un comité contenant à peine un tiers de scientifiques de métier et aucun représentant de la société civile pourra formuler des propositions pertinentes sur le fonctionnement de la recherche ?

Comment imaginer qu’avec une majorité de représentants du monde
économique, il peut produire autre chose qu’une privatisation des bénéfices (scientifiques) de la recherche publique ?

Et quel lien y a-t-il entre un groupe de réflexion nommé par le gouvernement et un débat démocratique ? On est même bien en deçà des exigences gaullistes en la matière. Cette volonté de fermer le débat est d’autant plus choquante que toute la seconde moitié du XXe siècle a vu la mobilisation croissante des citoyens dans la définition des politiques scientifiques (OGM, associations de patients, contre-expertise dans le domaine nucléaire). Aucun représentant du monde associatif n’est présent dans le Comité de pilotage. Seuls les président et vice-président de l’impuissant office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques du Parlement tiennent lieu de représentants de la société civile.

A l’heure ou nombre de pays européens expérimentent des outils de mise en débat des orientations scientifiques (conférences de citoyens, etc.) et où des scientifiques rencontrent le monde associatif à Belem (Brésil) pour le premier Forum mondial sciences et démocratie, l’action du gouvernement français en matière de recherche apparaît parfaitement réactionnaire.

http://www.liberation.fr/sciences/0101316249-la-recherche-a-reculons