L’AESA offre le choix des armes…

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mercredi 13 avril 2011

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Le 31 mars dernier s’est tenu à Bruxelles un atelier de consultations de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA, ou EFSA[1] en anglais) qui était censé traiter du concept d’équivalence en substance, comme l’avait initialement proposé la directrice exécutive de l’agence, Madame Geslain-Lanéelle, à la demande de l’eurodéputé José Bové en novembre 2010.

La notion d’équivalence[i] en substance, sur laquelle s’appuie l’évaluation de tous les organismes génétiquement modifiés (OGM) dans le monde revient à considérer qu’un OGM ne diffère de son homologue conventionnel que par modifications génétiques qui y ont été introduits. Ce concept ne s’appuie sur aucune démonstration scientifique et est édicté en principe, ce qui exclut la nécessité du contrôle et conduit inévitablement à une carence d’évaluation. C’est la raison pour laquelle ce concept — ce dogme — est contesté non seulement au sein de la communauté scientifique, mais également par de nombreuses associations de consommateurs et de défense de l’environnement.

Que l’AESA accepte d’ouvrir des discussions sur le principe même d’équivalence en substance pouvait donc être perçu comme une grande avancée et l’espoir de voir enfin remises à plat toutes les procédures d’évaluation des OGM.

Mais le thème de la journée a progresivement changé. Au final, il ne s’agissait plus d’un atelier de consultations sur l’équivalence en substance mais sur la sélection des comparateurs pour l’évaluation des plantes GM. Seule la session du matin (les deux premières heures) étaient consacrées à l’équivalence en substance, toutes les autres (celles de l’après-midi) au choix des comparateurs. Or les discussions sur le choix des comparateurs impliquent l’acceptation sur le fond du principe d’équivalence en substance. C’est un petit peu comme si, dans un forum sur les droits des femmes, on avait le matin une session pour dénoncer la lapidation, et l’après-midi des sessions sur le choix des pierres à utiliser…

C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souhaité me joindre à ces discussions, et que je n’étais pas favorable à ce que le réseau ENSSER[2] (dont je suis membre) y contribue. De plus, l’AESA avait refusé que je participe en tant qu’intervenant officiel, et face à l’insistance de José Bové, avait simplement garanti que je disposerai d’un temps de parole dans la phase de discussion avec la salle…

A l’AESA, on peut débattre de tout, mais pas n’importe comment et pas avec n’importe qui…. L’essentiel étant surtout que rien ne change, tout en donnant l’impression d’une certaine écoute. L’AESA pourrra alors mieux légitimer les avis positifs qu’elle donne systématiquement à toute demande d’autorisation d’OGM à la commercialisation ou à la consommation animale et humaine. N’oublions pas que sur les 125 demandes d’OGM pour lequelles cette agence européenne a eu à se prononcer, elle a toujours donné un avis positif…  …à l’unanimité. Formidable, non ? D’ailleurs je le dis aux personnes qui ont des problèmes de couple, c’est-à-dire qui ont du mal à s’entendre à deux : prenez exemple sur le panel OGM de l’AESA, ils sont plus de 20, ils sont toujours d’accord !  Merveilleux.

On aimerait bien que l’AESA soit équivalente en substance à l’ensemble de la communauté scientifique pour qu’elle reflète au moins les divergences qui s’y expriment.


[1] European Food Safety Authority

[2] European Network of Scientists for Social and Environmental Responsability = Réseau des chercheurs européens engagés pour une responsabilité sociale et environnementale


[i] Le principe d’équivalence en substance stipule que « Si un aliment ou un constituant alimentaire nouveau est semblable à un aliment ou constituant alimentaire existant, il peut être traité de la même manière en ce qui concerne la sécurité ». Il a été adopté par l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) en 1993, puis avalisé en 1996 par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) et l’OMS (Organisation mondiale de la santé), lesquelles recommandent depuis lors que ce principe s’applique à l’évaluation sanitaire de la nourriture et des constituants alimentaires provenant des OGM. Ce principe, transcrit dans la réglementation même de la FDA (Office du contrôle pharmaceutique et alimentaire aux Etats-Unis) où il est écrit (Partie IX : Nourriture provenant de nouvelles variétés de plantes) que « Dans la plupart des cas, les composants des aliments provenant d’une plante génétiquement modifiée seront les mêmes que ceux que l’on trouve communément dans les aliments, comme les protéines, les graisses, les huiles et les hydrates de carbone », revient à considérer qu’un OGM ne diffère de son homologue conventionnel que par les caractères exprimés par les transgènes qui y ont été introduits. C’est une vision mécanistique du vivant totalement obsolète (niant toute la complexité du vivant tant du point de vue des organismes eux-mêmes que de leurs interactions avec leur environnement) qui a été institutionnalisée en 1976 avec le lancement de la première entreprise de biotech, et qui constitue la fondation économique et légale sur laquelle s’appuie encore aujourd’hui toute l’industrie de la biotechnologie.