Gouvernance de la recherche – Régulation, organisation et financement

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mardi 10 janvier 2012

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La gouvernance de la recherche  comprend la régulation, l’organisation et la gestion du travail scientifique et défini comment et avec la participation de qui sont prises les décisions relatives à la recherche, notamment quant aux priorités et sujets de recherche, à la sélection et conception des méthodes, à la coopération et aux synergies entre différentes parties du système de recherche et au contrôle de qualité des résultats. Dans le contexte actuel de transformations majeures dans nos sociétés qui vont avec une crise du système de recherche, d’expertise et d’innovation,  la gouvernance de la recherche est confrontée à de multiples défis. Ainsi, la recherche et sa gouvernance ont attiré de façon croissante l’intérêt des associations, des médias et des citoyens faisant d’elle un sujet public au delà de la communauté scientifique, les décideurs politiques et l’industrie. En conséquence, la recherche est appelée à devenir plus réflexive sur ses effets collatéraux, plus complexe pour appréhender des causalités indirectes et de long terme, plus libre par rapport aux intérêts politico-économiques de court terme. Un nouveau modèle de gouvernance délibératif émerge, où les débats sortent du carcan strictement technique dans lesquels ils étaient enfermés, pour laisser leur juste place aux dimensions socio-politiques, socio-économiques et environnementales.

Mot(s)-clé(s) : politique de la recherche, organisation de la recherche

Public(s) visé(s) : chercheurs, élus, collectivités territoriales, associations, citoyens

Définition des concepts et notions utilisés :

La plus grande partie de l’activité de la recherche scientifique se situe aujourd’hui dans un cadre public (universités, institutions de recherche publiques), une autre grande partie dans un cadre privé (laboratoires) et une petite partie dans le cadre des organisations de la société civile (associations, ONGs, laboratoires indépendants).

La gouvernance de la recherche est une notion utilisée pour désigner à la fois les questions de régulation, d’organisation, et de financement de la recherche. De la gestion du travail scientifique à l’organisation des ressources en personnels, des fonds consacrés à la recherche à l’évaluation des performances reposant sur le jugement des pairs (publications, reconnaissance scientifique) ou sur leur valorisation économique (brevets  et autres questions de propriété intellectuelle), jusqu’aux problèmes de conflits d’intérêts, le champ couvert est extrêmement large. Au centre de cette notion, se pose la question du comment et avec la participation de qui sont prises les décisions relatives à la recherche : comment sont décidées les priorités entre sujets de recherche ?  Comment sont sélectionnées et conçues les méthodes utilisées ? Quelles sont les coopérations et les synergies mises en place entre les différentes parties prenantes du système de recherche ? Quels sont les critères de contrôle de qualité des résultats ? La gouvernance de la recherche englobe ainsi toutes les décisions et politiques adoptées par les acteurs clés de la recherche tels que les chercheurs, les politiques, les industriels, les ONGs, les bailleurs de fonds. Elle vise donc à la fois l’établissement de normes pour la conduite des activités de recherche, le développement de la qualité éthique (ex. standards déontologiques, conflits d’intérêt) et scientifique des travaux et la définition de bonnes pratiques.

Contexte – État des lieux : Sous l’effet des transformations majeures que traversent nos sociétés le système de recherche, d’expertise et d’innovation connait aujourd’hui une crise profonde. Plusieurs raisons mécanismes sont à l’œuvre :

La marchandisation de la science : rôle accru de la connaissance dans la production et la captation de la valeur ajoutée économique, affirmation des normes marchandes dans la production et la validation des savoirs, mise en concurrence mondiale des systèmes de recherches nationaux, montée de nouvelles formes d’appropriation des savoirs et du vivant, exhortations à la « compétitivité » des chercheurs de la part des dirigeants des organismes et des responsables politiques.

La montée des aspirations citoyennes :  élévation du niveau culturel et demande de participation des citoyens aux choix et actions de recherche plutôt que de délégation, prise de conscience que tout « progrès » n’est pas bon à prendre et doutes sur la capacité de la science à contrôler les effets de ses propres découvertes, émergence d’une « société de la connaissance disséminée » où de multiples  associations  et  organisations  non gouvernementales contribuent à la production de savoirs et d’innovations qui font la richesse de notre démocratie, du lien social et de notre économie.

L’entrée dans un monde fini où les effets secondaires des technologies ne peuvent plus être négligés : la science devenue technoscience, qui a voulu maîtriser la planète sur le mode de la conquête, est aujourd’hui questionnée dans ses paradigmes et amenée à jouer un rôle nouveau (principe de précaution, développement durable).

Le contexte social, politique, économique et culturel dans lequel de nouveaux savoirs sont produits, distribués et régulés varient selon les différents pays (pays du Nord et du Sud, pays dits émergents).

Phénomène d’accélération : la vitesse avec laquelle de nouvelles possibilités s’ouvrent par les avancées de la recherche scientifique et du développement technologique (ex. nanotechnologies, biologie synthétique) sans que la société ait le temps d’y réagir (utilités, risques, coûts, etc.).

Exposé de la problématique : Pour décrire le contexte social dans lequel s’est déroulée la science moderne d’après la deuxième guerre mondiale, on parle volontiers de « contrat social entre science et société ». Ce contrat était basé sur un modèle linéaire. Convaincue des bénéfices sociaux qu’elle finirait immanquablement de produire, la société avait fait le choix de laisser largement la science s’auto-réguler. Mais la combinaison entre des réflexions critiques de scientifiques d’horizons divers (Ellul, Mumford, Carson, Sclove, Irwin, etc.), des actions d’organisations de la société civile (campagnes, contre-expertises, études, pétitions, projets de recherche) et des initiatives étatiques (par exemple mise en place des offices d’évaluation des technologies) a remodelé le paysage de la gouvernance de la recherche. Sur la dernière décennie du 20e et la première décennie du 21e siècle, des associations, des médias et des citoyens se sont mis à s’intéresser à la recherche et à sa gouvernance, faisant d’elle un sujet d’intérêt public dépassant les cadres traditionnels de la communauté scientifique, des décideurs politiques et de l’industrie.

Différents modèles de gouvernance peuvent aujourd’hui être distingués selon l’implication du public (de la société civile, des associations, des citoyens) dans les décisions politiques, les relations de pouvoirs, de hiérarchie et d’hégémonie ou encore selon les discours tenus et les légitimités reconnues. Les différents modèles assignent des identités diverses et évolutives au « public » : population passive plutôt ignorante et non compétente ; êtres humains avec des valeurs morales et éthiques à prendre en compte dans des futures décisions ; consommateurs qui par leurs actions individuelles mais de masse influent sur le sort des produits techniques ; citoyens actifs et éclairés qui souhaitent intervenir sur des choix politiques et font entendre leur voix dans la sphère publique souvent via des actions ou campagnes organisées au sein d’organisations de la société civile[i].

De plus, dans la « société du risque » et « de la connaissance », la recherche est appelée à devenir plus réflexive sur ses effets collatéraux, plus complexe pour appréhender des causalités indirectes et de long terme, plus libre par rapport aux intérêts policico-économiques de court terme. Elle devra donner autant de place aux savoirs concernant la prédiction des impacts (rôle croissant de la modélisation) et la gestion durable des innovations qu’aux savoirs manipulatoires. Elle devra accorder autant de prestige aux approches parfois « low-tech » de prévention primaire qu’à la course en avant vers les solutions « high-tech ». Loin d’être un frein à la recherche, le principe de précaution et la demande publique de savoirs pour gérer plus sagement notre monde deviendront alors de puissants moteurs pour la recherche.

Pourtant, les (récents) débats publics sur la recherche et l’innovation aux niveaux régional, national ou international, et les politiques publiques de recherche se limitent la plupart du temps à des questions d’attractivité, de compétition, de brevets et de puissance économique ou militaire. Cette vision, qui promet à nos sociétés richesse et bien être sous réserve de rendre les sciences « indiscutables » dans nos démocraties, reste aujourd’hui trop largement dominante.

En conséquence, la diversité des approches scientifiques mises en œuvre pour développer des réponses innovantes et adaptées aux problèmes actuels (par exemple environnementaux et agricoles) s’appauvrie. De grandes options technologiques désignées comme « les plus prometteuses » (ex. industrialisation de l’agriculture, utilisation des combustibles fossiles et de l’énergie nucléaire) sont choisies par les gouvernants sur conseil des scientifiques et reçoivent la majorité des fonds (public et privé) destiné à la recherche et au développement.

Les options et solutions envisageables pour atteindre le même but – en particulier des solutions non-technologiques /non-industrielles – sont largement négligées et les recherches correspondantes sont au mieux marginalisées.

Acteur(s) impliqué(s) et nature de son (leur) implication :

• Gouvernement (ex. stratégie nationale de recherche)

• Autorités publiques : ministères (recherche mais aussi, santé, écologie, agriculture…), agences (par ex. les agences de financement, modèle de plus en plus utilisé dans les principaux pays industrialisés parallèlement aux différents types de financements récurrents, ex. ANR), institutions de recherche (CNRS, INRA, INSERM, …)

• Société civile : associations, syndicats, citoyens

• Industrie et laboratoires privés

Enjeux : Si longtemps les décisions en matière de politique scientifique et technique ont pu êtres prises sans apport formel ou informel da la société civile, c’est parce qu’était largement partagée la croyance en la nature neutre et objective de la science. Une science reposant simplement sur les valeurs non controversées, quasi-universelles et positives de progrès, de bien-être, et de croissance. La gouvernance de la recherche se basait sur l’idée que le public adhérait forcément au propos des chercheurs une fois suffisamment éduqué et informé par ceux-ci (concept du « public understanding of science », en France la culture scientifique et technique). Les experts scientifiques y jouaient un rôle prédominant.

Mais les crises sanitaires et environnementales répétées ont mis à mal ce schéma.

Un nouveau modèle de gouvernance délibératif émerge, où les débats sortent du carcan strictement technique dans lesquels ils étaient enfermés, pour laisser leur juste place aux dimensions socio-politiques, socio-économiques et environnementales.

Les choix ne peuvent plus être décidés sur la base du seul savoir scientifique, considéré comme éminemment supérieur aux autres formes de savoir. Ils doivent intégrer divers avis, savoirs professionnels, traditionnels, locaux, empiriques …. La gouvernance délibérative, qui intègre par exemple les Conventions / conférences de citoyens et les jurys de citoyens, pousse clairement le débat sur les politiques de recherche vers la sphère publique et (dans le meilleurs des cas) vers l’implication des citoyens en amont des choix. Elle impose la nécessité d’une transparence sur les processus de décision.

La gouvernance délibérative se pose également en opposition au modèle de la gouvernance de marché. Pour cette dernière, à la base des politiques néolibérales, la valeur marchande et la commercialisation des produits techno-scientifiques est essentielle. Le public est réduit à son statut de consommateur, ne jouant sur la politique scientifique et technique qu’a posteriori, une fois le processus d’innovation accompli.

Dans les sociétés de connaissance, la citoyenneté n’est donc plus seulement une question de diffusion de connaissances savantes constituées. Elle implique également l’accès de chacun à la production de savoirs et aux décisions sur l’orientation des recherches et des innovations qui façonnent notre monde. Il s’agit en somme de partager, non plus une science déjà faite, mais une science en devenir.

Recommandations :

Inventer et mettre en place des espaces démocratiques (comme par exemple les conventions de citoyens) où d’autres voix se font entendre dans l’élaboration des politiques de recherche et d’innovation.

Augmenter la diversité en science et ainsi ses capacités innovatrices et créatrices en rééquilibrant les domaines de recherche envers plus de recherches pour le développement durable et la santé publique (agriculture durable et biologique, énergies renouvelables, santé environnementale, etc.).

Renforcer et soutenir les partenariats des chercheurs avec la société civile organisée à but non lucratif (associations, ONG, etc.).

Références utiles et non citées dans les notes :

Bonneuil, Christophe et Sintomer, Yves, 2003, postface de l’édition française « Choix technologiques, choix de société », Descartes & Cie, Editions Charles Léopold Mayer du livre de Richard Sclove, 1995, Technology and Democracy, The Guilford Press

Fondation Sciences Citoyennes, 2004, « L’expertise et la recherche associative et citoyennes en France – Esquisse d’un état des lieux », Synthèse N°1 de la FSC, www.sciencescitoyennes.org

Global Governance of Science, report to the European Commission, 2009

Gall, Eric, Millot, Glen, Neubauer, Claudia, 2009, « Participation of civil society organisations in research », report from the European project STACS – Civil society organisations – actors in the European System of Research and Innovation, Fondation Sciences Citoyennes, 2009, www.sciencescitoyennes.org

Taking European knowledge society seriously, Report of the Expert Group on Science and Governance to the Science, Economy and Society Directorate, Directorate-­General for Research, European Commission, http://www.citeulike.org/user/Enro/article/7010762

[i] Le sociologue M. Callon distingue trois modèles dans la démocratie technique : le modèle de l’instruction publique, le modèle du débat public, le modèle de la co-construction des savoirs.