Canicule et santé environnementale

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jeudi 21 août 2003

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La mortalité liée à la canicule est aussi révélatrice du déficit de la politique de santé environnementale en France. Au moment où la société française découvre avec surprise l’ampleur de l’impact sanitaire que peut avoir une vague de chaleur, il est nécessaire de s’interroger non seulement sur la dimension sanitaire et sociale de cette épidémie, comme on a commencé à le faire, mais aussi sur la dimension scientifique de cette question, c’est à dire principalement sur les outils scientifiques nécessaires, non seulement pour évaluer, mais pour anticiper un tel impact.

Le phénomène a été perçu officiellement comme nouveau en France, alors que de nombreux travaux scientifiques ont déjà été publiés à l’étranger à la suite de vagues de chaleur similaires. En Grèce, celles de 1987 et 1988 ont fait l’objet d’études publiées en 1990 [1], 1993 [2] et 1995 [3]. Le taux de mortalité était en juillet 1987, plus élevé, par rapport aux années précédentes, de 97% à Athènes, de 33% dans les autres agglomérations et de 27 % dans les zones non-urbaines [4]. L’épisode de Chicago de 1995 (du 14 au 17 juillet) a induit environ 700 morts et suscité la publication de travaux en 1996 [5] par l’agence fédérale américaine des CDC (Centers for Disease Control), dont les conclusions ont été que les personnes les plus vulnérables étaient les personnes alitées, socialement isolées et sans air conditionné. La pollution semble jouer un rôle dans l’amplification du phénomène.

Une relation entre pollution au SO2 et température > 30°C a été mise en évidence en Grèce [6]. D’autres auteurs ont mis en évidence la relation avec les particules au dessus de 29°C [7]. La revue Environmental Research publie dans son numéro de septembre 2003 un article de 2 scientifiques canadiens [8] relatant une étude menée à Toronto. Bien que les conditions de cette ville ne soient pas extrêmes (température moyenne 21°C , pollution à l’ozone de 28,7 ppb en moyenne), un lien a cependant été clairement mis en évidence entre chaleur, pollution et mortalité. Ces études ont conduit à envisager des indicateurs pour prévoir l’impact de telles vagues de chaleur.

Un indicateur thermo-hygrométrique utilisé en Grèce rend compte de l’augmentation de mortalité [9]. (33,5 morts en dessous de 26,5°C contre 108,2 au dessus de 28,5 °C). Une étude américaine [10] basée sur 11 villes et utilisant le même indicateur de température conclut également sur des variations fortes en raison de niveau de température plus élevés. Le Service Météo du Canada utilise un indicateur similaire baptisé HUMIDEX pour lancer des avis d’alerte à la population et anticiper ainsi l’impact sanitaire. Les auteurs canadiens cités ci-dessus concluent sur la validité de cet indicateur et sur la nécessité de disposer d’un indicateur standardisé au niveau international.

La crise survenue en France pose la question de la veille sanitaire, mais cette crise devrait aussi et surtout poser le problème de la faiblesse de la politique de veille environnementale. Il est étonnant que ces outils d’alerte utilisés au Canada ou aux Etats Unis n’aient pas été utilisés en France. Plus largement cela pose le problème de la faiblesse de la politique de santé environnementale en France., dont témoignent les moyens ridiculement limités dévolus à l’AFSSE, (une dizaine de personnes), alors que la sécurité sanitaire des aliments est suivie par 800 personnes à l’AFSSA ou la faible présence de la France au niveau des publications scientifiques (1,5% contre 4,7% tous domaines). Il est donc temps de tirer aussi les leçons de cette affaire pour corriger d’urgence la loi de santé publique afin de doter notre pays d’une véritable agence de sécurité sanitaire environnementale et d’une vraie politique en ce domaine.


[1] Giles B et coll . « Too hot for comfort : the heatwaves in Greece in 1987 and 1988 » Int J Biometeorol 1990 Aug ;34(2):98-104.

[2] Katsouyanni K, et coll. « Evidence for interaction between air pollution and high temperature in the causation of excess mortality ».Arch Environ Health. 1993 Jul-Aug ;48(4):235-42.

[3] Pantazopoulou A. et coll« Short-Term Effects of Air Pollution on Hospital Emergency Outpatient Visits and Admissions in the Greater Athens, Greece Area » Environmental Research Volume 69, Issue 1 , April 1995, Pages 31-36

[4] Katsouyanni déjà cité

[5] Semenza Jet coll « Heat-related deaths during the July 1995 heat wave in Chicago ».N Engl J Med. 1996 335(2):84-90.

[6] Katsouyanni déjà cité

[7] Wysga et Lipfert cités par Rainham (réf 9)

[8] Rainham Daniel et Smoyer-Tomic Karen « The role of air pollution in the relationship between a heat stress index and human mortality in Toronto » Environmental Research 2003 vol 93 pages 9-19.

[9] Tselepidaki IG « The use of a complex thermohygrometric index in predicting adverse health effects in Athens ». Int J Biometeorol. 1995 May ;38(4):194-8.

[10] Curriero F et coll « Temperature and mortality in 11 cities of the eastern United States » Am J Epidemiol. 2002 Jan 1 ;155(1):80-7.