07. La culture et le développement durable

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samedi 30 mars 2002

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Dans les documents relatifs au développement durable, il n’est quasiment jamais question de culture.Pourtant, le concept de développement durable n’est rien moins qu’un projet de civilisation. Et depuis les débuts de l’humanité, la civilisation est un processus – encore largement inachevé – fondé sur la culture, c’est-à-dire le déploiement de langages articulés, de savoir-faire, de rites, de coutumes, de croyances, de représentations du monde, de dessins, de constructions, de fabrications, d’inventions, d’accumulations de connaissances empiriques puis théoriques, etc… Autrement dit, processus de civilisation et culture sont absolument indissociables.

La spécificité de l’espèce humaine par rapport aux autres espèces animales est de comporter des êtres à la fois biologiques et culturels. Même le caractère social de l’homme, c’est-à-dire son rapport aux autres, est médiatisé par la culture (ce qui n’est pas le cas des autres animaux sociaux). C’est elle qui permet l’effectivité du dessein commun de vivre ensemble. Ce qui fait l’humanité dans l’homme est bien la culture.

La démarche pour un développement durable a placé l’homme au centre de sa problématique. Toutefois, les trois dimensions fondamentales du développement durable ont été, le plus souvent, prises dans leur acception concernant l’homme comme être essentiellement biologique.

C’est évident pour la dimension environnementale (air-eau-terre non pollués, bio-diversité, etc.…). La dimension économique concerne essentiellement la satisfaction des besoins vitaux de l’humanité (accès à la nourriture, à la santé, au logement, etc.…). Quant à la dimension sociale, elle a tendance à traiter davantage de l’équité dans la redistribution des richesses produites que des relations qualitatives entre les humains.

Ceci a pour conséquence de passer sous silence d’autres besoins tout aussi fondamentaux, que sont l’accès à l’éducation et à la connaissance, aux ressources culturelles de l’humanité et, pour chaque individu, la possibilité de développer sa créativité.

Alors que « développement durable » est un vocable aujourd’hui relativement ambigu, dans la mesure où le terme « développement » possède une connotation principalement économique, il est temps d’affirmer avec force l’idée que le développement culturel est tout aussi essentiel pour notre avenir commun.

La Commission Française du Développement Durable insiste donc sur la nécessité de compléter l’approche du développement durable en intégrant la dimension culturelle au même titre que les dimensions économique, sociale et environnementale.

Aujourd’hui la diversité culturelle est gravement menacée par une mondialisation qui tend à uniformiser les imaginaires en répandant et valorisant un seul modèle culturel sur toute la planète. Autant la bio-diversité semble vitale pour la Terre, autant la diversité culturelle est une richesse de l’humanité qu’il est urgent de s’appliquer à maintenir.

Une dynamique de développement durable ne peut se concevoir sans protection active et constructive / créative des spécificités culturelles locales, ni sans investissements volontaristes permettant d’offrir à tous les moyens d’accéder aux cultures et à leurs formes d’expression.

La diversité des cultures, patrimoine de l’humanité, tout comme le patrimoine naturel qu’est la bio-sphère, doit être protégée afin d’être transmise aux générations futures. Elle doit même être enrichie par une dynamique d’échanges inter-culturels et de création, qui permette à chaque être humain de construire son rapport aux autres, son rapport à notre monde.

Une poignée de compagnies multinationales tend, depuis quelques années, à concentrer entre quelques mains à la fois :

- les outils d’éducation (éditions scolaires, logiciels éducatifs,…),

- la production et la distribution de l’information (presse, télévision, internet),

- la production et la distribution des biens culturels (édition, cinéma, télévision, câble, musique).

Ainsi se met insidieusement en place un monopole idéologique, dont les finalités sont, dans le meilleur des cas, « purement » marchandes. L’éducation peut former les jeunes à une vie de consommation sans aucun recul critique. L’information peut manipuler les esprits. La culture peut perdre toute profondeur pour devenir simple divertissement sur la base de valeurs qui sont uniquement celles du système libéral productiviste.

Ceux qui détiennent la maîtrise des outils idéologiques à l’échelle planétaire, possèdent le véritable pouvoir, sous couvert de démocratie, car ils orientent les esprits. Or le monopole des moyens de production et de distribution de l’éducation, de l’information et de la culture qui, au XXème siècle, était l’apanage des états totalitaires, devient l’accompagnement naturel de la mondialisation.

Comme les éléments naturels, la culture est un « bien commun » de l’humanité, qui ne saurait être l’objet d’une marchandisation généralisée. La Commission Française du Développement Durable souhaite que soit pris en compte l’aspect inaliénable du domaine culturel. Les relais d’une telle prise de position politique doivent être trouvés au niveau européen et international.

Dans les pays du Nord, la tendance à la réduction globale du temps de travail, due aux progrès technologiques qui accroissent constamment la productivité, se traduit par une plus grande disponibilité des individus aux activités culturelles. Toutefois, celles-ci peuvent être de formidables outils d’évolution et d’épanouissement personnels – ainsi que de développement de la démocratie, ou au contraire donner lieu à un désastreux nivellement par le bas.

Dans une société fondée sur la notion de développement durable, chaque individu devrait pouvoir accomplir sa propre vie et non pas la subir. Pour cela, il devrait pouvoir accéder à une éducation initiale et à une implication tout au long de sa vie dans un processus de formation continue et d’enrichissement culturel, pouvant emprunter les biais les plus variés. Tout être humain, à tous les échelons de la société, se verrait offrir la possibilité de devenir producteur / acteur de culture et de dépasser le stade de simple consommateur de divertissements. De la sorte, le fonds culturel de l’humanité s’enrichirait en permanence et le processus de civilisation se renforcerait.

Il est indispensable pour l’avenir de l’humanité de maintenir et développer des pratiques culturelles libres, diverses et accessibles à tous. C’est la condition pour qu’un modèle de société, que l’on pourrait qualifier de durable, puisse trouver son sens.